Archiver le web pour les chercheurs : mode d’emploi

Depuis deux ans, grâce au projet ResPaDon, je travaille de manière un peu plus approfondie sur les usages des archives web pour la recherche, et ça tombe bien car mes nouvelles activités depuis octobre me conduisent en ce moment d’une part à me replonger dans ma thèse en vue de son édition, et d’autre part à enseigner sur le sujet.

Alors en attendant la journée d’étude professionnelle et le colloque « Le web, source et archive » qui vont conclure ce beau projet respectivement le 13 mars à la BnF et les 3-5 avril à Lilliad, voici en mode mise en bouche un petit mode d’emploi pour les chercheurs qui ont besoin d’archiver des contenus web.

Vous allez me dire, c’est quand même assez spécifique, il y a finalement assez peu de gens qui sont concernés. Mais en fait si. Cela peut arriver à tout le monde de tomber sur un lien mort, une erreur 404 (à commencer par moi-même quand je cherche des vieux trucs dans mon blog, vu que j’ai pété toutes mes URL).
Si on anticipe un tout petit peu ce problème, en tant que chercheur (au sens très large de « quelqu’un qui cherche », quel que soit le sujet, il arrive qu’on tombe sur des ressources en ligne dont on n’est pas sûr qu’elles seront encore là demain (par exemple le blog d’une personne irresponsable qui ne fait pas attention à la préservation de ses URL) voire dont on est sûr qu’elle n’y seront plus (par exemple une fiche de poste intéressante pour réfléchir aux compétences d’étudiants en master).
Dans ces cas-là, si on veut fonder une réflexion scientifique qui tient la route, pouvoir citer la ressource dans un article ou tout simplement en garder la trace, on a besoin de l’archiver.

Voici quelques méthodes qui peuvent être utilisées pour ce faire, de la plus simple à la plus complexe.

1. Zotero : vous utilisez déjà cet outil pour vos références bibliographiques, vous avez déjà installé une extension sur votre navigateur préféré pour sauvegarder en un clic une référence. Si vous le faites sur une page web lambda, le mode « snapshot » archive une copie de la page et vous pourrez la rejouer plus tard. [Edit] Cette méthode peut néanmoins finir par peser lourd sur votre disque dur ; heureusement il existe une extension Memento qui permet de récupérer dans Zotero un lien vers la Wayback Machine d’Internet Archive.

2. Le service Save Page Now d’Internet Archive : également doté de son extension, il vous permet non seulement de chercher une copie archivée d’une page si vous tombez sur une erreur 404, mais aussi d’archiver en 1 clic la page que vous consultez (et si besoin, tous ses liens sortants) dans la Wayback Machine. Cela évite d’encombrer votre disque dur, vous garantit de pouvoir la retrouver, peut être utile à d’autres gens et en plus, il y a plein d’autres fonctionnalités vraiment cool comme la cartographie de site…

3. Les outils de WebRecorder.io : derrière ce service, une communauté d’ingénieurs (dont Ilya Kremer) qui travaillait au départ sur l’idée de « browser-based archiving » c’est à dire d’archiver les sites en se basant sur la navigation d’un internaute. Plus besoin de cliquer sur les pages une à une, un outil comme archiveweb.page (toujours sous la forme d’une extension) vous permet d’enregistrer toute une session de navigation et de l’éditer après. Il y a aussi l’outillage nécessaire pour constituer une archive web avec Python pour les plus aventureux.

4. Hyphe : outil développé par le MediaLab de Sciences Po, il permet de constituer de véritables corpus web. Là, on entre quand même dans les outils plus spécifiques pour les chercheurs qui utilisent le web comme source de façon plus systématique.

5. Le BnF DataLab : si vraiment le web est votre sujet de recherche ou votre principale source, vous finirez sans doute par vous tourner vers des dispositifs plus institutionnels qui permettent d’entrer dans des partenariats avec les organismes en charge du dépôt légal de l’Internet : la BnF et l’Ina. Ceux-ci proposent des outils spécifiques pour naviguer dans les pétaoctets d’archives web amassées depuis plusieurs dizaines d’années, par exemple – sur certains corpus – la recherche plein texte, l’analyse de la tendance d’un terme ou des métadonnées et statistiques diverses.
Dans le DataLab, suite aux travaux conduits dans le projet ResPaDon, il est possible d’utiliser Hyphe pour explorer le web archivé par la BnF. Certains projets accueillis en partenariat peuvent aussi bénéficier de collectes « à la demande », pour lesquelles bibliothécaires et chercheurs vont s’associer pour constituer ensemble un corpus pérenne à des fins de recherche.

Il y en a donc pour tous les goûts, y compris pour les webmestres qui peuvent par exemple utiliser le service Arquivo404 pour proposer sur leur site un lien vers les archives web du Portugal quand la page est introuvable (pourquoi le Portugal me direz-vous, eh bien cette archive partage avec Internet Archive la caractéristique d’être en accès ouvert, là où la plupart des archives web institutionnelles, soumises aux conditions d’accès du dépôt légal, sont consultables uniquement sur place dans les établissements).

Si le sujet vous intéresse, on se retrouve le 13 mars à la BnF, ou à défaut sur Twitter et/ou Mastodon (oui c’est nouveau !) pour de nouvelles aventures avec les archives web.

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What is a lab ?

Mes pérégrinations autour du projet Corpus continuent (pour ceux qui n’auraient pas suivi les épisodes précédents, ils se trouvent ici et ). Les 13 et 14 septembre derniers, j’ai ainsi participé à une rencontre à la British Library sur le thème : « Building Library Labs« . Organisé par l’équipe du British Library Labs, ce séminaire a réuni plusieurs dizaines de bibliothécaires et chercheurs pour des ateliers de réflexion sur ce qu’est un « Lab » en particulier dans les bibliothèques nationales, à quoi ça sert, comment on le fait tourner et ce qu’on y fait.

Je serais bien en peine de résumer en détail les discussions très riches qui ont eu lieu lors de cette journée, mais parce qu’un joli dessin vaut mieux qu’un rapport de 150 pages (ou pas, enfin je vous laisse juger…) j’ai tenter de sketchnoter ce qui me semblait le plus important à retenir.

Pour transcrire tout ça en quelques mots : j’ai trouvé qu’il ressortait de ces journées une forme de consensus à la fois autour de l’approche proposée, de ses objectifs et de la définition de ce que peut être un « Lab » dans une bibliothèque nationale. En gros, toutes ces institutions investissent depuis 10 ans ou plus dans la constitution de collections numériques massives, et souhaitent à présenter développer des usages nouveaux de ces collections, en s’appuyant sur les possibilités ouvertes par l’outil informatique (genre TDM mais pas seulement).

Les bibliothèques nationales sont un peu différentes des bibliothèques universitaires : elles ne bénéficient pas toujours d’un bassin de population cible attribué (chercheurs et étudiants), mais par contre elles ont ces masses de données, plus ou moins accessibles, plus ou moins bien documentées, qui ne demandent qu’à rencontrer des usagers. Du coup, le public cible des « labs » n’est pas seulement composé de chercheurs, mais aussi d’artistes, d’entreprises, de développeurs, d’archivistes… et surtout, surtout, des bibliothécaires eux-mêmes : les collègues sont les premiers bénéficiaires du Lab.

Les composantes essentielles des Labs sont les données, qu’on cherche à diffuser de la manière la plus efficace possible, en les documentant et les assortissant d’exemples concrets. Le fait de proposer un site web comme point d’accès à tout cela est une première étape, voire dans certains cas un but en soi. Certains ont un lieu physique, d’autres non, mais tous organisent des événements, de différentes natures, essentiels pour faire communauté.

Une autre caractéristique majeure des Labs réside dans leur dimension expérimentale. Différents dispositifs, qu’il s’agisse d’appels à projets, de hackathons ou autres, conduisent à la création, en coopération entre bibliothécaires et chercheurs, de réalisations qui ne sont pas forcément vouées à durer. On s’autorise l’échec et on multiplie les outils et les compétences diverses pour réussir ces expérimentations sans avoir la pression des longs projets exigeants dont on a davantage l’habitude dans nos institutions.

Plusieurs bibliothèques pilotes en la matière, notamment la British Library et la KB aux Pays-Bas, ont raconté le « voyage » qui les a conduits où ils sont aujourd’hui. On a voyagé sur les routes de Grande-Bretagne avec le premier « roadshow » de nos collègues anglais, ri avec le créateur du premier et très basique site web de la bibliothèque néerlandaise. Et ensuite, on a tenté de mettre en commun nos approches dans un Google Doc gargantuesque qui devrait être transformé en livre dans les mois à venir. Vous pourrez aussi retrouver les vidéos sur la chaîne Youtube du BL Labs prochainement.

Côté BnF, le rapport d’Eleonora Moiraghi sur les besoins des usagers du futur service d’exploration des données propose des pistes de réflexion convergentes avec ces approches. Le carnet de recherche de la BnF relate les différents ateliers organisés dans le cadre du projet Corpus. Et le site API et données propose déjà une vue d’ensemble des données disponibles et des moyens d’y accéder.

Plongée dans les humanités numériques à Berlin

Cette année, mes pérégrinations estivales ne m’ont pas conduite à l’IFLA en Pologne (coucou à ceux qui y sont !) mais « seulement » à l’une des conférences satellites, organisée par la section des Bibliothèques académiques et de recherche conjointement avec DARIAH et LIBER. Cette conférence, qui s’est donc tenue à Berlin du 15 au 17 août, avait pour thème Digital Humanities – Opportunities and Risks: Connecting Libraries and Research et j’étais invitée à présenter l’une des deux « keynotes », l’occasion pour moi de parler du projet Corpus qui est l’un de mes centres de préoccupations phares du moment.

iflaDH

La conférence a commencé par une intervention introductive de Toma Tasovac, directeur du Centre pour les Humanités Numériques de Belgrade à qui a été posée la difficile question : comment peut-on définir les humanités numériques ? Il répond : avec réticence. Les humanités numériques ne sont pas une discipline, mais une communauté de pratiques.

Les présentations de la journée suivante ont brillamment illustré la diversité des pratiques en question, de l’organisation d’un éditathon dans Wikipédia à la création d’une collection d’archives web en histoire de l’art, de l’exploration approfondie d’un poème d’Apollinaire à la création d’un site collaboratif documentant le patrimoine architectural brésilien. Dans ma propre présentation, j’ai donné plusieurs exemples de projets dans lesquels la BnF a été impliquée, qui posent pour la bibliothèque la question de la mise à disposition de corpus numériques massifs dans le contexte de la science numérique (digital scholarship – expression que je trouve plus inclusive que celle d’humanités numériques, car certains des projets sur lesquels nous travaillons ne viennent pas des humanités). Ruth Wallach est revenue sur cette question de savoir « qui en est, qui n’en est pas » en citant Stephen Ramsay : sommes-nous tous des « edupunks » qui faisons des humanités numériques à la mode artisanale, avec les moyens du bord ?

Cependant, en tant que satellite de l’IFLA, cette conférence ne s’intéressait pas aux DH en soi mais en tant qu’elles questionnent le rôle des bibliothèques. Dans sa présentation, Toma Tasovac a appelé de ses vœux des bibliothèques numériques qui offriraient un accès aux textes non pas comme des objets statiques, mais sous la forme de services et de workflow, permettant non seulement de les utiliser de façon flexible via des API mais aussi de reverser les enrichissements réalisés par les chercheurs.

Sur ce dernier point, il prenait l’exemple de l’OCR en rappelant qu’il « ne faut pas avoir honte d’un mauvais OCR » mais qu’il est par contre important de permettre aux chercheurs de le corriger.

Dans ce contexte, les bibliothèques numériques sont vues comme des infrastructures qui doivent permettre aussi bien la lecture rapprochée que distante (close reading, distant reading). Elles partagent avec les DH l’enjeu de l’interopérabilité et de la communication. Certaines données peuvent être d’accès restreint (Toma utilise l’excellent euphémisme shy data) mais il est important d’expliciter les conditions de leur usage par les chercheurs : c’est le but de la future « Charte de réutilisation des données culturelles » que DARIAH et Europeana sont en train d’élaborer. Si ce sujet vous intéresse, je vous engage à répondre au sondage en cours sur les principes de la charte.

S’est également posée la question de savoir quelle formation il serait nécessaire de donner aux bibliothécaires chargés de ces questions. Lotte Wilms, qui travaille au Lab de la KB (Pays-Bas), a présenté un programme de formation sur 5 jours, qui se tiendra à la rentrée, et dont les composants essentiels rappellent fortement ce qui pourrait être la formation de base d’un data librarian...

Si vous souhaitez en savoir plus, voire rejoindre la communauté des « DH librarians », sachez que deux groupes de travail sont en train de se monter, de façon complémentaire : un groupe « libraries » au sein de DARIAH piloté par Tamara Butigan et Sally Chambers, et un groupe « Digital Humanities » au sein de LIBER piloté par Lotte Wilms et Andreas Degkwitz (plus d’infos ici). A suivre donc, l’un des prochains épisodes étant le symposium auquel je participe à Francfort en octobre : New Directions for Libraries, Scholars, and Partnerships: an International Symposium et peut-être plus près de vous géographiquement, la journée d’études de l’ADEMEC à Paris le 14 octobre : Humanités numériques et données patrimoniales : publics, réseaux, pratiques. Venez nombreux, en plus c’est gratuit !

Le catalogueur, l’usager et le système

Comme je parcourais le RDA Toolkit, profitant de sa temporaire gratuité (jusqu’au 31 août, je le rappelle), je me suis sentie dériver librement au fil de pensées inattendues.

S’appuyant sur les FRBR et sur les principes internationaux de catalogage, les RDA rappellent une chose qu’on parfois trop tendance à négliger quand on parle de catalogage : le but du catalogage, c’est de répondre aux besoins des utilisateurs, tout en rationalisant les moyens qu’on déploie pour y arriver :

The data should meet functional requirements for the support of user tasks in a cost-efficient manner.

Non, le catalogage n’a pas été inventé par les bibliothécaires pour se faire plaisir (ou pas uniquement).

Les lecteurs de ce blog, quand on leur parle FRBR, se souviendront peut-être des fameux 3 groupes d’entités et de l’articulation entre Œuvre, Expression, Manifestation et Item. Je suis à peu près sûre que parmi les gens qui ont des notions quelconques de FRBR, peu d’entre eux se souviennent que les FRBR, c’est aussi une description détaillée des opérations effectuées par les utilisateurs, réparties en 4 grands groupes : trouver, sélectionner, identifier et obtenir. S’y ajoute le niveau de pertinence des différentes métadonnées pour accomplir ces tâches.

Les RDA reprennent ces tâches pour rappeler à quoi sert chaque partie de la description, ce qui n’est pas du luxe. Cela leur permet de définir les « core elements », dont on a toujours besoin quoi qu’il arrive, et les autres qui ne sont à renseigner qu’en tant qu’ils sont indispensables pour accomplir les tâches utilisateurs.
En cela, ma compréhension de RDA (je n’ai pas fini de les lire, c’est donc plutôt une impression globale) c’est qu’une grande liberté est laissée au catalogueur (ou à l’agence pour qui il travaille) pour décider plus précisément des éléments nécessaires à la description de telle ou telle ressource.
Derrière cette liberté se cache l’économie du catalogage. En effet, RDA nous laisse entrevoir un monde meilleur où on ne décrirait d’une ressource que ce qui est vraiment nécessaire pour la trouver, l’identifier, la sélectionner et l’obtenir, et rien de plus. Un monde où au lieu de répéter N fois l’information, on pourrait relier les ressources et les descriptions entre elles. Un monde où on aurait des descriptions pour des parties, des descriptions pour le tout, et des descriptions hiérarchiques qui les combinent.

Dérivant toujours le long du fil de mes pensées, j’ai saisi l’effluve évanescent d’un souvenir, ou plutôt, d’un leitmotiv que j’ai entendu maintes fois prononcé, chuchoté dans les couloirs : c’est le fantôme du catalogage à niveaux qui revient.
Moi qui suis une (relativement) jeune professionnelle, je n’ai connu du catalogage à niveaux que ces réminiscences lointaines, comme un spectre qu’on aurait eu tant de mal à chasser, et qui s’obstinerait à revenir par la petite porte.
Alors, me suis-je demandé, au fait, c’était quoi le catalogage à niveaux, et pourquoi diable l’a-t-on abandonné ?
Après une courte recherche dans mon moteur préféré, je suis tombé sur cet article de 1988 qui explique que le catalogage à niveaux, c’était :

une présentation élégante, rationnelle : les éléments communs de la notice sont mis en dénominateur commun ; les éléments propres aux volumes sont donnés à la suite les uns des autres

et qu’on l’a abandonné parce qu’il était mal géré par certains formats MARC (notamment nord-américains) et par les progiciels de catalogues de bibliothèques.
Je ne résiste pas à vous proposer cette autre citation d’une saveur toute particulière (nous sommes, je le rappelle, en 1988) :

L’arrivée de nouveaux supports de diffusion utilisant des logiciels documentaires puissants permettant des combinaisons de clés variées et la recherche par mots clés sur la totalité de la notice, confirme aujourd’hui que la séparation des informations est une technique dépassée.

Un élan de nostalgie m’a emportée à l’idée qu’on a renoncé à quelque chose qui était pratique pour les catalogueurs ET pour les utilisateurs, parce que les formats et les systèmes ne savaient pas le gérer.
Puisse l’avenir nous préserver d’un monde où on définit les formats en fonction des systèmes, et les usages en fonction des formats. Voilà à quoi sert l’étape de modélisation : à définir les objectifs du modèle et le modèle lui-même, avant de concevoir les outils qui vont l’exploiter.

NB : en fait, les notices à niveaux n’ont pas totalement disparu du catalogue de la BnF. L’intermarc permet de gérer des « notices analytiques » pour le dépouillement de plages de disques, lots d’images, etc…

Les catalogues sur le Web

Hier j’étais à Médial à Nancy pour une Journée d’études sur les catalogues nouvelle génération ».

Je ne sais pas si ce diaporama apportera quoi que ce soit sans les explications qui vont avec, mais en tout cas j’avais envie de le partager, ainsi que le plaisir que j’ai eu à faire cette présentation devant un public intéressé, attentif et indulgent.
J’en profite aussi pour remercier Françoise L. pour les quelques diapos que je lui ai empruntées et surtout pour ce qu’elle m’a apporté par ses réflexions.

Catalogues de bibliothèques et développements agiles

Dans le dernier numéro de Code4Lib Journal, deux informaticiens de la bibliothèque nationale de Suède publient un article intitulé « User-Centred Design and Agile Development: Rebuilding the Swedish National Union Catalogue ».

Il s’agit d’un retour d’expérience sur l’adoption d’une méthode de développement dite « agile » pour le catalogue collectif des bibliothèques suédoises, Libris.
Il s’agissait de reconstruire le système de A à Z, en un an seulement, y compris la partie moteur de recherche. Pour favoriser l’innovation, ils ont opté pour mener en parallèle une conception orientée utilisateurs, s’appuyant sur des études d’usages, et un développement itératif de type agile (SCRUM).
Côté étude d’usages, ils ont d’abord fait un questionnaire, puis des focus groups conduits sur la base de scénarios d’utilisation, et enfin des tests d’usabilité sur un prototype et une interface en version beta. Tout ça nous est assez familier, mais ce qui est nouveau, c’est d’adapter la méthode de développement de façon à ce que les retours des utilisateurs puissent être pris en compte dans la réalisation informatique au fil de l’eau.

Dans une méthode agile, l’objectif est de prendre en compte le fait que les conditions et les objectifs peuvent évoluer avec le temps, même pendant que se déroule le projet.
Cela implique de favoriser :
– les individus et leurs interactions plutôt que les processus et les outils
– les logiciels qui fonctionnent plutôt qu’une documentation extensive
– la collaboration avec le client plutôt la négociation contractuelle
– de répondre au changement plutôt que suivre un plan pré-établi.

Comme le dit très justement l’article, ces principes, pour séduisants qu’ils sont surtout vus depuis les utilisateurs du futur système, posent un certain nombre de problèmes. D’abord, ils sont plus inconfortables pour les décideurs, qui perdent en visibilité sur les charges et les dates ce que le projet gagne en souplesse. Il est donc important d’obtenir dès le départ le soutien des décideurs sur la méthodologie, et de bien leur expliquer que même s’ils ne peuvent pas voir les spécifications, le produit final sera bon. D’autre part, le code ainsi construit peut au final s’avérer instable, ce qu’ils ont résolu dans le projet cité en planifiant une session de 3 semaines dédiée à une évaluation fine de la qualité du code.
Tout cela est en grande partie une question de confiance et un des facteurs décisifs du projet a été la mise à disposition d’un espace commun pour les développeurs, où se tenaient également les réunions de travail avec l’équipe projet.

En conclusion, leur retour d’expérience est plutôt bon sur la méthode agile, qui semble avoir évité bien des écueils. Ce qui leur manque c’est plutôt la documentation et le transfert de compétences entre développeurs. Et ils auraient voulu impliquer encore davantage les utilisateurs dans le processus.
Je ne voudrais pas paraphraser la conclusion, qui est classe, donc la voici :

Finally, we would like to conclude that working with user-centred design in combination with iterative development is a better, faster and cheaper way of software development, compared to traditional models. Better – the product being released at the end is a more up-to-date and bug-free version than had we worked with a more traditional approach. Faster – it is our conviction that with traditional methodology we would not have finished on time, or at least not with the same amount of features implemented. Cheaper – if the same number of people are able to do a better job in a shorter amount of time, it is a more cost-effective way of getting the job done.

Il faut reconnaître que le résultat est pas mal du tout : même en suédois, on arrive à s’en servir ce qui prouve que niveau usabilité, c’est plutôt bien fait !!! Enfin pour expérimenter moi aussi la méthode agile en ce moment, je dois dire que cela me paraît effectivement très prometteur pour les projets innovants en bibliothèque.
Merci à Pintini pour la référence.

ISWC 2008 (5) – exploiter les données

Alors voilà : on a créé plein de beaux triples, des URIs, des ontologies, on a tout publié sur le Web of data… et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? La conférence était assez riche en présentations d’outils ou de cas d’utilisation de toutes sortes qui montrent toute la puissance qu’apporte le Web sémantique en termes d’utilisation des données.
Je ferai ici une mention spéciale au Semantic Web challenge, un concours annuel qui a pour objectif de montrer des réalisations concrètes. Cette année, le challenge se divisait en deux branches : une branche « ouverte » (open track) dans laquelle on pouvait proposer n’importe quelle application, et une intitulée « billion triple challenge » dont l’objectif était de présenter des outils capables de manipuler une quantité importante de données.
Au moment de la « poster session », tous les participants au challenge ont fait des démos de leurs outils, et 5 outils ont été sélectionnés pour la finale dans chaque catégorie. Le lendemain, chacun des 5 élus a présenté dans le grand amphithéâtre son outil en une dizaine de minutes et cela a été une session pleine d’émerveillements. La plupart des exemples que je vais vous présenter dans ce billet en sont tirés (mais pas tous).
Par contre je ne parlerai pas de tout, alors ne m’en voulez pas ;-) vous pouvez retrouver tout cela sur le site du Challenge.

Il y a plusieurs façons d’exploiter les données du SemWeb. Je les ai classées en 4 catégories…

Les « triple store »
Un « triple store » est une base de données optimisée pour stocker des données en RDF. En général on utilise le langage de requête SPARQL, langage normalisé du Web sémantique, pour interroger ou extraire les données.
Dans cette catégorie, mention spéciale à Virtuoso qui n’a pas été dans les 5 élus du « billion triple challenge » mais s’est fait remarquer pour avoir réussi à indexer 11 milliards de triples en SPARQL avec des temps de réponse paraît-il très impressionnants. Pour la scalabilité, ils se posent là.
Pourquoi n’ont-ils pas été retenus pour le « billion triple » alors, me direz-vous ? Parce que le challenge consistait pas seulement à stocker les données, mais à les exploiter.

Les raisonneurs
Un des principaux intérêts d’avoir des données en RDF et des ontologies, c’est de pouvoir faire des inférences, c’est-à-dire déduire des informations exprimées les informations implicites (par ex., si A est cousin(e) de B et que la propriété « cousin(e) de » est symétrique, alors B est cousin(e) de A). Il existe donc des outils, raisonneurs ou moteurs d’inférences, dont le rôle est de parcourir les triples et de générer des inférences, ce qui crée de nouveaux triples qui peuvent être ajoutés au stock disponible pour être à leur tour exploités.
Deux outils de ce type ont été présentés : Marvin et SAOR.
MARVIN met l’accent sur la scalabilité et la possibilité de générer un maximum de triples tout en évitant de créer des doublons. La qualité des noeuds ajoutés n’est pas prise en compte, l’objectif étant plutôt de mettre à disposition des chercheurs une méthode permettant de tester différents algorithmes de raisonnement sur de larges ensembles de donnés. Il a gagné le 3e prix du challenge dans sa catégorie.
Le second, SOAR, ayant pour objectif de servir à alimenter un moteur de recherche (SWSE, voir ci-dessous) s’intéresse au contraire beaucoup aux questions de qualité de l’information générée (veiller à ce que les inférences aient du sens) et de temps de réponse.
Je ne rentre pas dans les détails, car très franchement, ça me dépasse… Mais il est bon de savoir que ces engins existent. Pour ceux qui seraient restés interloqués devant l’échange de commentaires de mon précédent billet, sachez que l’on peut également faire de petites inférences avec SPARQL. Il « suffit » de ranger l’ontologie dans le même triple store que les données, et de les requêter ensemble. Un jour, Got vous expliquera en détail comment marche SPARQL et comment on peut faire de petites inférences avec (pas vrai ?)

Les outils de recherche
Haha. Voilà qui est délicat, j’ai failli appeler ça les « moteurs de recherche sémantique » mais ça ne va pas du tout. Ca, ça ou encore ça, ce sont des choses qu’on a tendance à appeler des moteurs de recherche sémantique mais ils n’ont RIEN à voir avec le Web sémantique donc sachez-le : ce n’est pas du tout de ce genre de choses que je parle.
Les outils dont je parle ici sont des moteurs de recherche dont la vocation est spécifiquement d’exploiter des données en RDF et en particulier les données présentes dans le Linked Data.
Sindice est un moteur de recherche qui permet d’exploiter des données publiées en RDF, qu’elles se trouvent dans des triple stores, dans des fichiers RDF, ou dans des pages HTML sous forme de métadonnées (microformats ou RDFa – pour en savoir plus sur RDFa, cliquez ici). Sindice surveille, collecte et indexe ces données (apparemment il opère aussi des fonctions de raisonnement mais je ne sais pas lesquelles). Ensuite, il met à disposition tout cela sous forme d’API pour qu’on puisse l’utiliser dans une autre application. Sindice est une des briques essentielles du Web of data car il va permettre de trouver les triples que l’on veut mettre dans les interfaces d’accès (voir ci-dessous).
Après, il existe d’autres moteurs de recherche qui exploitent les données en RDF mais je ne les ai pas tous vus en détail, et ils ont été écartés du « billion triple challenge » pour la même raison que Virtuoso. J’ai par exemple pas mal entendu parler de SWSE (paper), un moteur orienté objet qui fournit un point d’accès en SPARQL (ce que ne fait pas Sindice).

Les interfaces de navigation
C’est dans cette catégorie que je vais ranger les deux gagnants du Semantic Web Challenge.
Dans la catégorie « billion triple », c’est SemaPlorer qui l’emporte. Il s’agit d’une interface d’exploration de données en RDF qui démarre avec de la géolocalisation et continue avec de la navigation à facettes. Vous pouvez regarder la démo sous forme de vidéo sur le site : c’est assez séduisant en termes de fonctionnalités. Enfin évidemment, ce qui a surtout pesé dans le résultat c’était l’architecture sous-jacente, avec du cloud computing d’Amazon (EC2), et 25 triple stores distincts qui sont fédérés par un point d’accès SPARQL, NetworkedGraphs. Le résultat est donc assez bluffant mais plutôt moche.
On ne peut pas en dire autant du gagnant de l’open track : Paggr. Imaginez un genre de Netvibes, mais dans lequel toutes les données seraient converties en RDF pour pouvoir être reliées et exploitées en déchaînant toute la puissance du Web sémantique. Bah, je vois bien que vous n’arrivez pas à imaginer ;-) alors regardez la vidéo, et je vous raconte juste le truc qui m’a le plus bluffée : quand il a glissé le nom d’un de ses contacts sur le widget Google maps, et qu’en analysant je ne sais quelles données ça lui a localisé la personne…
Un petit dernier pour la route : Freebase Parallax, une interface à facettes pour naviguer dans les données de Freebase. Elle est vraiment pas mal celle-là.

Inclassables et inoubliables
Je ne peux pas arrêter ce billet déjà beaucoup trop long sans évoquer les deux projets qui sont peut-être les plus riches d’enseignements pour notre communauté.
Le premier a reçu le 3e prix dans l’open track, il s’agit de Health Finland. Il s’agit d’une sorte de portail qui donne accès à une masse hétérogène d’informations médicales en Finlande. Son objectif est de faire se rencontrer les requêtes des citoyens internautes avec des données très structurées et modélisées dans des vocabulaires professionnels parfois hermétiques. Pour cela, il ont modélisé les différents vocabulaires professionnels en SKOS et les ont alignés avec une ontologie de haut niveau qui, elle, utilise un vocabulaire « grand public ». C’est vraiment une approche très convaincante.
ClioPatria n’a pas été présenté dans le Challenge mais on nous en a parlé dans les lightening talks (voir mon twitter) ainsi que dans la présentation du projet e-culture dont j’avais parlé dans ce billet. J’adore toujours autant le projet, et je ne suis pas la seule car il a été assez remarqué dans les « best papers awards ». Donc, il utilise ClioPatria, une plateforme de navigation dans des données en RDF qui utilise le concept de facettes mais aussi les requêtes SPARQL et un système de clustering assez séduisant. On a également appris qu’il allait être utilisé par Europeana.

J’aimerais bien continuer à vous raconter mais ce billet m’a épuisée… Je pense que je vais laisser de côté les outils pour passer à autre chose. De toutes façons, il sera toujours temps d’y revenir plus tard dans un billet plus détaillé sur l’un ou l’autre.

A l’Est, du nouveau

La dernière lettre de la section Information Technology de l’IFLA contient deux articles intéressants.

Le premier relate l’expérience de la bibliothèque universitaire de Vilnius pour mettre en place des services 2.0. Ce que je trouve intéressant dans cet article c’est qu’il ne présente pas le versant technologique de la chose (dont on a soupé, franchement : des articles qui expliquent encore ce que sont les blogs et les wikis !). Il se positionne du point de vue de ce qui pose vraiment problème dans la mise en place d’un projet de bibliothèque 2.0 : la mobilisation des agents et l’accompagnement au changement. Ainsi, avant de mettre en place des services 2.0 dans la bibliothèque, ils ont sondé les personnels (et l’encadrement en particulier) sur leur niveau de compétences technologiques puis ont organisé un plan de formation approprié.
L’initiative a débouché sur un blog interne, un blog des guides touristiques de la bibliothèque, un compte delicious, et un wiki pour le personnel qui permet d’avoir toutes les informations sur le plan de formation en question.

Le second décrit l’initiative PIONER qui a permis à des bibliothèques numériques polonaises de créer une Fédération qui bénéficie de son portail. Un framework en open source, dLibra, a été développé pour être mis à disposition des bibliothèques locales pour mettre en ligne leurs fonds. Ensuite l’ensemble est fédéré via OAI-PMH.

Pour le contexte : la section IT de l’IFLA est là où se discutent les enjeux des évolutions technologiques pour les bibliothèques. On y parle beaucoup de « library 2.0 » en ce moment forcément, mais pas seulement : cet été à Montréal elle co-organisait avec la section Préservation et l’ICABS (qui s’occupe de normes bibliographiques) une conférence sur la préservation numérique pour laquelle avec plusieurs collègues nous avions écrit cet article (traduction française). L’été prochain, il y aura une pré-conférence satellite à Florence sur le thème « Emerging trends in technology: libraries between Web 2.0, semantic web and search technology »… et j’espère bien y aller !

xISSN

Vous connaissiez peut-être xISBN, un service de Worldcat qui contribue à la FRBRisation en renvoyant tous les ISBN en lien avec un ISBN donné. Ils ont créé un peu la même chose avec xISSN : un Web service qui sert à retrouver des ISSN en lien avec un ISSN donné.

Comme xISBN, il utilise les données de Worldcat pour relier entre eux les ISSN. On peut ainsi récupérer l’historique d’un titre e périodique ou de collection, les différentes formes, les différents supports, les métadonnées.

xISSN est un Web service, vous pouvez donc le tester en utilisant le formulaire de démo, mais ce n’est pas fait pour cela : en principe c’est fait pour être utilisé par une machine (par exemple, vous pourriez appeler ce service depuis votre catalogue pour créer des rebonds entre des notices).

Ils ont aussi développé un outil qui permet de visualiser tout cela sous forme d’un schéma, ce qui peut parfois se révéler utile quand on affaire à un périodique qui a changé de titre, fusionné avec un autre, rechangé de titre, changé de support, etc…

Exemple avec un changement de support :
http://worldcat.org/xissn/titlehistory?issn=0339-543X

Autre exemple (avec plus de circonvolutions dans l’histoire du titre) :
http://worldcat.org/xissn/titlehistory?issn=0151-914X

Pour l’instant je ne vois pas apparaître l’ISSN-L, ISSN de liaison dont l’objectif est justement de fédérer les ISSN pour les différents supports d’un même titre. Mais bon, si j’ai bien compris,
– l’ISSN-L est en fait choisi parmi les ISSN existants des différents supports (ce n’est pas un nouveau numéro)
– il ne gère que les supports coexistants, pas l’historique du titre.

Le service xISSN reste donc tout à fait utile !

Delicious, Chrome et quelques réflexions sur les URI

Cet été, le service de favoris partagés « delicious » a changé de peau. Il est passé d’un design minimaliste résolument « Web 0.1 » à quelque chose de minimaliste aussi, mais plutôt dans la veine « 2.0 » avec des icônes en forme de muffins et des trucs comme ça. Ce changement fait assez peu de différence à mes yeux vu que je n’utilise ce service qu’à travers le « bookmarklet » de mon navigateur préféré, et le fil RSS que je visionne dans mon agrégateur préféré, donc je ne le vois pour ainsi dire jamais. Mais par contre, j’ai bien remarqué qu’ils avaient changé l’adresse de leur site : de http://del.icio.us ils sont passés à http://delicious.com.

Ce changement me paraît totalement emblématique à la fois de la démocratisation (recherchée ou effective, cela reste à savoir) du service, et d’un état de fait du Web d’aujourd’hui qui est la transparence – ou plutôt, l’invisibilité – des URI. Je m’explique : le nom du service d’origine était une astuce géniale qui utilisait et détournait le principe des noms de domaines « en-point-quelque-chose » : l’extension « .us » était avalée par le reste du nom de domaine, ne se prononçait plus, s’effaçait devant l’identité du service. « delicious.com » c’est carrément triste à côté (et même, si on veut, « www.delicious.com » !!!)
Quand on voit la confusion qui existe aujourd’hui dans l’esprit des gens (là je pense à l’internaute qui sait utiliser un webmail, poster sur un blog, mettre ses photos dans flickr mais n’a aucune idée de comment tout cela fonctionne) autour de la notion d’adresse URL, cette évolution semble toutefois logique. Cette astuce, qui, à part les « web-geeks », pouvait la comprendre ? Ca devait surtout compliquer le bouche-à-oreilles (non, pas en un seul mot, tu tape D-E-L, puis point, puis…)
Le navigateur de Google, Chrome, s’assoit sans vergogne sur la distinction entre une recherche et une adresse : de toute façons, franchement qui s’embarasse de retenir une adresse quand le moyen le plus rapide de la retrouver est de rechercher le site dans Google ? Donc autant n’avoir qu’une seule « barre » qui va, suivant ce qu’on lui demande, envoyer directement l’adresse demandée ou répondre par une liste de résultats Google. Personnellement cette confusion m’agace mais ça doit être mon côté bibliothécaire à chignon qui aime que chaque chose soit bien identifiée, rangée, classée (ou alors c’est l’influence des cases du voisin).

Admettons alors que le changement d’URI du service Delicious soit dans l’air du temps. Mais au fait, qui se soucie encore d’enregistrer des favoris, alors qu’on peut les twitter, les facebooker, les smober, ou faire n’importe quoi d’autre d’un coup de commande ubiquity (à tester d’urgence si vous ne l’avez pas déjà fait – vous n’êtes pas près d’abandonner Firefox…) ? Heureusement, il reste http://identi.ca/ !