Réflexion autour de Bibframe et la formation au Web sémantique

Je n’avais jamais eu le temps de me pencher véritablement sur Bibframe, ce « format » développé par la bibliothèque du congrès dans le cadre de sa transition bibliographique, avec pour objectif annoncé de « remplacer les formats MARC ». J’ai pu récemment réparer ce tort grâce à une étude d’une collègue de la BnF (merci Suzanne) suivie d’une très riche discussion avec plusieurs autres collègues (privilège des grandes maisons !)

Au départ, l’idée de Bibframe nous a laissés plutôt songeurs. Pour commencer, peut-on vraiment parler de « format » ? Naturellement, entre gens habitués depuis plusieurs années à manipuler des vocabulaires RDF et des triplets, nous avons plutôt employé le terme de « modèle ». Or, ce modèle est assez troublant. Sans se raccrocher explicitement à d’autres modèles/vocabulaires comme FRBR ou Dublin Core, il ne paraît pas non plus incompatible avec eux.
En termes d’usage, difficile également d’avoir les idées claires : Bibframe serait-il un « format » de production ? Dans ce cas il ne paraît pas assez détaillé. Un « format » d’échange ? Mais alors pourquoi n’avoir pas privilégié un vocabulaire existant et déjà bien implanté, comme le Dublin Core… Serait-il alors un « format » destiné principalement à transformer en graphe des notices MARC existantes ? Hypothèse peut-être la plus plausible, mais la souplesse du modèle est telle qu’il permettrait de le faire de mille façons différentes.
Au terme de la discussion, Bibframe ne nous semblait pas avoir vraiment de sens dans une perspective technique. Rien de ce qui est fait dans Bibframe ne semble impossible à faire en combinant des vocabulaires existants comme par exemple dans le modèle de données de data.bnf.fr. On a donc l’impression d’avoir affaire au énième standard qui vient se surajouter à tous les autres pour essayer de les réconcilier… et ne fait que créer une nouvelle couche de complexité (cf cette fameuse BD).

Cependant, en y réfléchissant en résonance avec divers événements, j’ai commencé à regarder les choses autrement.

D’abord, il y a eu Semweb.pro, le mois dernier, et la conférence de clôture de Phil Archer. Dans celle-ci, il a émis l’idée que l’important à transmettre à nos développeurs et autres professionnels n’était pas « faites du Web sémantique » car dans la plupart des cas, ils n’avaient en fait pas besoin du niveau de complexité qui est associé à cette technologie. Pour, lui il suffit dans la plupart des cas de se limiter à trois choses :
– attribuer des URI,
– penser en graphe,
– faire du JSON-LD (cette sérialisation très simple de RDF semble être la meilleure promesse d’adoption par les développeurs depuis l’invention du Web sémantique).
Alors ils feraient du Web sémantique sans y penser, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose.

Ensuite, j’ai participé le 26 novembre à la 2e saison de la formation du CNFPT « les catalogues au défi du Web ». Au cours des différentes discussions, notamment la très intéressante table ronde de l’après-midi, je réfléchissais au fait qu’il ne serait ni possible, ni utile de former tous les catalogueurs ou tous les bibliothécaires au Web sémantique.
Je me suis souvenue qu’à l’époque où j’ai fait l’ENSSIB, nous avions des cours sur la modélisation des bases de données relationnelles et sur le requêtage SQL. A part pour les tordus dans mon genre qui ont besoin de comprendre comment fonctionnent les choses sous le capot, cela n’avait aucun intérêt. Difficile de placer le curseur de l’apprentissage technologique pour des gens qui n’auront pas à pratiquer au quotidien… C’était ce qu’on appelait dans le temps « le niveau technico-stratégique » : le niveau de base de connaissance technique qui permet de comprendre et donc de décider. Mais tout le monde n’en a pas besoin.

En effet, après avoir déployé pas mal d’énergie à essayer de former des bibliothécaires au Web sémantique (on a même écrit un bouquin, c’est dire) je suis aujourd’hui convaincue que la plupart d’entre eux peuvent vivre très confortablement sans savoir ce qu’est le Web sémantique ou comment ça marche. Par contre, ils manipuleront et pour certains, créeront de la donnée en RDF, mais façon M. Jourdain, sans en avoir conscience.
Finalement, seuls les modélisateurs de données ont vraiment besoin de connaître et comprendre en détail le Web sémantique et ils sont assez peu nombreux. D’ailleurs, cela fait peu de différence avec la situation antérieure : combien de catalogueurs savent qu’en fait de MARC, il produisent en réalité de l’ISO 2709 stocké dans les tables d’une base de données relationnelle ?
Pour revenir à Bibframe, je pense qu’on pourrait interpréter de cette façon le besoin d’avoir un « format » pour remplacer MARC.
Si on souhaite que les catalogueurs et les développeurs de SIGB (ces deux groupes en priorité) manipulent des URI et des triplets sans avoir besoin d’une formation extensive à RDF, SPARQL, OWL etc., et sans même avoir besoin de maîtriser les 5 vocabulaires de base du Web sémantique, nous avons besoin d’un outil (appelons-le « format ») qui permette d’expliquer de manière simple le nouveau modèle des données bibliographiques. Nous avons besoin qu’il soit suffisamment homogène et cohérent pour qu’on puisse expliquer ce format, uniquement ce format, et que dans la phase de transition cela permette aux catalogueurs et aux développeurs de SIGB d’acquérir une maîtrise des données suffisante pour les tâches qu’ils ont à effectuer. Enfin, nous avons besoin que ce « format » ait un nom afin de pouvoir faire passer aux managers des bibliothèques et aux décideurs un message simple : « on va remplacer MARC par X ».

Alors, pourquoi pas Bibframe ?
Bibframe est un outil qui est déjà associé à la transition bibliographique et à l’idée qu’il y aura un « après-MARC » que l’on doit commencer à construire dans les bibliothèques. Il est suffisamment souple pour être compatible avec les anciens formats (MARC aux différents parfums) et les nouveaux modèles (FRBR & Co). Bien sûr il manque encore pas mal de choses dans Bibframe (rien n’est fourni, par exemple, pour décrire les autorités) mais on pourrait le compléter ou l’étendre, l’adapter à nos besoins, en faire un profil français, voire établir ses correspondances avec d’autres vocabulaires du Web sémantique que nous utilisons par ailleurs.

Bibframe n’est en fait pas un format mais un « cadre » (framework, comme son nom l’indique) permettant d’accompagner la transition vers le Web sémantique pour les bibliothèques.
A l’heure où nous entamons en France notre propre transition bibliographique nationale, nous aurons dans doute également besoin d’un outil qui serve de support à la formation des producteurs de données et des développeurs, et qui soit plus simple que la machine de guerre Web sémantique : des URI, un graphe, une sérialisation simple.
Je ne sais pas si Bibframe sera cet outil mais on pourrait en tout cas s’inspirer de la démarche.

2 réactions sur “Réflexion autour de Bibframe et la formation au Web sémantique

  1. Bonjour Emmanuelle, l’étude de Suzanne que vous mentionnez au début serait-elle disponible à nous autres, hors-BnF? Merci.

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