Comme je parcourais le RDA Toolkit, profitant de sa temporaire gratuité (jusqu’au 31 août, je le rappelle), je me suis sentie dériver librement au fil de pensées inattendues.
S’appuyant sur les FRBR et sur les principes internationaux de catalogage, les RDA rappellent une chose qu’on parfois trop tendance à négliger quand on parle de catalogage : le but du catalogage, c’est de répondre aux besoins des utilisateurs, tout en rationalisant les moyens qu’on déploie pour y arriver :
The data should meet functional requirements for the support of user tasks in a cost-efficient manner.
Non, le catalogage n’a pas été inventé par les bibliothécaires pour se faire plaisir (ou pas uniquement).
Les lecteurs de ce blog, quand on leur parle FRBR, se souviendront peut-être des fameux 3 groupes d’entités et de l’articulation entre Œuvre, Expression, Manifestation et Item. Je suis à peu près sûre que parmi les gens qui ont des notions quelconques de FRBR, peu d’entre eux se souviennent que les FRBR, c’est aussi une description détaillée des opérations effectuées par les utilisateurs, réparties en 4 grands groupes : trouver, sélectionner, identifier et obtenir. S’y ajoute le niveau de pertinence des différentes métadonnées pour accomplir ces tâches.
Les RDA reprennent ces tâches pour rappeler à quoi sert chaque partie de la description, ce qui n’est pas du luxe. Cela leur permet de définir les « core elements », dont on a toujours besoin quoi qu’il arrive, et les autres qui ne sont à renseigner qu’en tant qu’ils sont indispensables pour accomplir les tâches utilisateurs.
En cela, ma compréhension de RDA (je n’ai pas fini de les lire, c’est donc plutôt une impression globale) c’est qu’une grande liberté est laissée au catalogueur (ou à l’agence pour qui il travaille) pour décider plus précisément des éléments nécessaires à la description de telle ou telle ressource.
Derrière cette liberté se cache l’économie du catalogage. En effet, RDA nous laisse entrevoir un monde meilleur où on ne décrirait d’une ressource que ce qui est vraiment nécessaire pour la trouver, l’identifier, la sélectionner et l’obtenir, et rien de plus. Un monde où au lieu de répéter N fois l’information, on pourrait relier les ressources et les descriptions entre elles. Un monde où on aurait des descriptions pour des parties, des descriptions pour le tout, et des descriptions hiérarchiques qui les combinent.
Dérivant toujours le long du fil de mes pensées, j’ai saisi l’effluve évanescent d’un souvenir, ou plutôt, d’un leitmotiv que j’ai entendu maintes fois prononcé, chuchoté dans les couloirs : c’est le fantôme du catalogage à niveaux qui revient.
Moi qui suis une (relativement) jeune professionnelle, je n’ai connu du catalogage à niveaux que ces réminiscences lointaines, comme un spectre qu’on aurait eu tant de mal à chasser, et qui s’obstinerait à revenir par la petite porte.
Alors, me suis-je demandé, au fait, c’était quoi le catalogage à niveaux, et pourquoi diable l’a-t-on abandonné ?
Après une courte recherche dans mon moteur préféré, je suis tombé sur cet article de 1988 qui explique que le catalogage à niveaux, c’était :
une présentation élégante, rationnelle : les éléments communs de la notice sont mis en dénominateur commun ; les éléments propres aux volumes sont donnés à la suite les uns des autres
et qu’on l’a abandonné parce qu’il était mal géré par certains formats MARC (notamment nord-américains) et par les progiciels de catalogues de bibliothèques.
Je ne résiste pas à vous proposer cette autre citation d’une saveur toute particulière (nous sommes, je le rappelle, en 1988) :
L’arrivée de nouveaux supports de diffusion utilisant des logiciels documentaires puissants permettant des combinaisons de clés variées et la recherche par mots clés sur la totalité de la notice, confirme aujourd’hui que la séparation des informations est une technique dépassée.
Un élan de nostalgie m’a emportée à l’idée qu’on a renoncé à quelque chose qui était pratique pour les catalogueurs ET pour les utilisateurs, parce que les formats et les systèmes ne savaient pas le gérer.
Puisse l’avenir nous préserver d’un monde où on définit les formats en fonction des systèmes, et les usages en fonction des formats. Voilà à quoi sert l’étape de modélisation : à définir les objectifs du modèle et le modèle lui-même, avant de concevoir les outils qui vont l’exploiter.
NB : en fait, les notices à niveaux n’ont pas totalement disparu du catalogue de la BnF. L’intermarc permet de gérer des « notices analytiques » pour le dépouillement de plages de disques, lots d’images, etc…
J’aime bien quand les plus jeunes d’entre nous font un peu de recherche bibliographique dans notre domaine ! merci.
Je voudrais ajouter un témoignage.
Je crois qu’il faut intégrer ici dans la réflexion (historique), le monde documentaire avec (début 1970) les logiciels documentaires (et non bibliothéconomiques), très malléables (trop disaient certains) et qui permettaient ces descriptions à niveaux. Avec les pratiques documentaires qui allaient avec, c’est à dire une sélection dans les éléments de données retenus (cela nous a été assez reproché). Et on allait plus loin encore que ce qui est évoqué ici puisqu’il ne s’agissait pas de décrire des « volumes » mais : des communications de congrès , articles de revues, reportage photos,… (quel que soit le volume auquel ces items appartenaient). Démarrant pour ma part au début 1980, ce fut mon travail quotidien. C’est vrai : pas d’unimarc/vedettes matières, et pas de gestion (fine) des acquisitions. Notre leitmotiv : « Description minimum et accès maximum » comme le dit Mr Le Loarer en … 1982 http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1982-09-0539-001. !
Il me semble que le travail « RDA » pointe ces deux aspects qu’il faudrait peut être mieux distinguer encore : la structuration d’une part en niveaux (qui ne recoupe pas uniquement les 4 niveaux des FRBR, comme on vient de le voir pour les items et les volumes) et la sélection de métadonnées.
Mais je crains que l’on reproduise les erreurs des années 1970 en ne faisant qu’exploiter les techniques les plus récentes que ce soit celles du W3C ou celles de l’Ifla (frbr). Mon idée depuis 20 ans est que la pratique bibliothéconomique est « scotché » aux éditeurs (le catalogue correspond à la description du fonds de commerce des éditeurs) au détriment des besoins des utilisateurs. Si l’on portait autant d’attention aux Utilisateurs qu’aux Editeurs, cela conduirait à intégrer deux axes supplémentaires à la réflexion que ceux évoqués précédemment :
– mieux séparer : acquisition …. représentation (=description/indexation) ….. puis accès/recherche, la description n’étant pas subordonnée à l’acquisition, et la recherche n’étant pas subordonnée à la description. Si l’on amalgame cette analyse fonctionnelle, on fera toujours des raccourcis préjudiciables à l’une ou l’autre de ces fonctions, et le plus fréquemment raccourcis préjudiciables à l’accès (et donc aux utilisateurs).
– ne pas mélanger « requête dans le catalogue » et besoins des utilisateurs. Me penchant depuis plusieurs années sur le travail à l’écran (lecture, annotation, réexploitation des données) des utilisateurs des systèmes documentaires, je constate des problèmes de même nature que ceux évoqués dans les années 1980 : on ne répond que partiellement aux « besoins des utilisateurs » ou plutôt on répond aux besoins des années 1990 mais pas à ceux d’aujourd’hui ou d’un demain proche. Par exemple, les commandements de Couperin (http://www.couperin.org/fr/relations-editeurs) « 5. Développer des services centrés sur l’usager ». Très bonne chose que ces principes, mais quand je lis ces propositions, je me dis qu’il s’agit en fait de services « centrés sur *l’utilisation de la bibliothèque* par l’usager » et non centré sur l’usager lui-même. Ce qui n’est pas du tout pareil bien sûr :-). Avec ces commandements, le pauvre utilisateur est coincé dans la bibliothèque construite par le duo « éditeur/bibliothécaire » – aucune réflexion sur l’articulation de ces réservoirs avec la « propre bibliothèque du lecteur »: par exemple comment récupérer les commentaires de lecture qu’il aurait pu faire sur ces documents, avec citation des documents annotés ou extrait ?
FRBR et les techniques (xml, rdf, …web semantique) sont indispensables, mais ne me semblent pas suffisantes. Je ne pense pas qu’avec RDA on passe cette frontière du catalogue ?
Merci pour ce témoignage, et désolée d’avoir mis du temps à le publier (il s’était un peu perdu au milieu des spams…)