Dans le contexte de la société de l’information, beaucoup de gens, et notamment les geeks, pensent qu’ils ont des choses à apprendre des bibliothécaires, car ces derniers ont une certaine expérience dans des domaines devenus clef : le catalogage, la classification, l’indexation. Pour faire ouvert, dites : les métadonnées, le Web sémantique, les ontologies. Ah, je vois une lueur d’intérêt dans votre oeil…
Or, pour gérer des données, ces gens-là (les geeks) travaillent de la manière suivante : ils font de la modélisation, puis des spécifications, et enfin ils implémentent. Nous, pauvres bibliothécaires et catalogueurs, le nez dans le guidon trop souvent, nous avons commencé par créer un format d’implémentation (MARC), s’appuyant quand même sur une norme (l’ISBD). Mais mieux vaut tard que jamais, nous avons fini par faire la modélisation et les spécifications de nos données bibliographiques : ce sont les FRBR.
Les FRBR (Functional Requirements of Bibliographic Records, en français : spécifications fonctionnelles des notices bibliographiques) sont une modélisation conceptuelle de l’information contenue dans les notices bibliographiques.
Comment ça marche ?
Je vais essayer de résumer le contenu des spécifications bien que ce soit un véritable défi.
En gros, les FRBR organisent les différentes composantes de la description bibliographique (les autorités, les accès sujet et les informations sur le document proprement dites) en trois groupes d’entités reliées ensemble par des relations.
Le premier groupe d’entités regroupe tout ce qui concerne les documents et leurs différentes versions. Ces entités sont :
- oeuvre : une création intellectuelle ou artisitique déterminée (par exemple : Germinal de Zola)
- expression : une réalisation de cette création intellectuelle (par exemple, la traduction anglaise de Germinal par Roger Pearson)
- manifestation : la matérialisation d’une expression (par exemple, Germinal de Zola, traduit par Roger Pearson et publié chez Penguin Books en 2004)
- item : un exemplaire isolé d’une manifestation (par exemple, l’exemplaire de Germinal de Zola, traduit par Roger Pearson et publié chez Penguin Books en 2004, qui se trouve à la bibliothèque municipale de Perpignan).
Ainsi, une oeuvre peut avoir plusieurs expressions (différentes langues, une adaptation cinématographique… encore que dans ce cas on peut considérer qu’il s’agit d’une nouvelle oeuvre) qui elles-mêmes ont plusieurs manifestations (une édition en gros caractères, une version en K7 et une en DVD) composées chacune d’items.
La grande originalité du modèle, c’est la notion d’oeuvre, qui permet de rapprocher par exemple un roman et ses traductions ou adaptations, ce que nos catalogues sont incapables de faire sauf avec un rebond par titre (si le titre est le même) ou par auteur.
Le second groupe d’entités correspond à la modélisation des "autorités", les personnes qui ont une responsabilité dans la création des entités du groupe 1. Il y en a deux sortes : les personnes, et les collectivités.
Ici, ce qui est intéressant, c’est la notion de relation introduite pour marquer la façon dont les personnes interviennent par rapport à l’oeuvre-expression-manifestation-item. Parmi ces relations, on peut trouver celle de production ou création bien sûr, mais aussi, par exemple, celle d’appartenance (pour dire à qui appartient un item).
Encore une fois, ce type de relations (toutes les oeuvres d’un auteur, tous les items qui appartiennent à une bibliothèque, toutes les manifestations produites par un éditeur) existent dans nos catalogues mais dans une forme bridée, guère exploitable sauf par les « rebonds » permis par les notices d’autorité.
Le troisième groupe regroupe des entités qui sont le sujet des oeuvres : concept, objet, événement, lieu. La relation de sujet (par exemple, un événement est sujet d’une oeuvre) peut aussi fonctionner avec le groupe 2 (une personne est sujet d’une oeuvre, dans le cas d’un livre sur Zola) et le groupe 1 (une oeuvre est sujet d’une autre oeuvre, dans le cas d’un livre sur Germinal de Zola).
A quoi ça sert ?
On a pu reprocher aux FRBR d’être très orientées sur la description des oeuvres de fiction et pas très utiles pour le reste. Des applications comme le FictionFinder d’OCLC montrent bien l’intérêt des FRBR pour ce type de documents. C’est néanmoins un constat un peu sévère, pour ma part je pense que cette étape de modélisation aurait dû survenir bien plus tôt et elle aurait décuplé le potentiel de nos catalogues. Elle aurait aussi évité de les figer dans des formes rigides dont ils ont le plus de mal à se défaire.
On peut dire aussi que les FRBR sont un pas fait par les bibliothèques vers le Web et notamment le Web sémantique. En effet, les entités du groupe 3, en les qualifiant de relations entre elles, appelleraient inévitablement les ontologies ; celles du groupe 2 me font penser aux réseaux sociaux et à FOAF ; quant aux entités du groupe 1, elles pourraient apporter une réponse à la publication multiple et à la description des versions dans le domaine mouvant et multiple qu’est le Web.
Enfin, pour mes amis développeurs de logiciels libres, enfin de Lodel, (profitez-en tant que vous pouvez), je les invite à s’intéresser à ces histoires de relations qui vont dans tous les sens, avec des schémas vous verrez c’est mieux… Vous les trouverez dans le rapport final sur les FRBR ou sa traduction française accessible ici.
PS pour Patrick s’il passe par ici : j’espère que j’ai été fidèle à l’esprit FRBRien ; sinon les commentaires sont ouverts !