Je sais pas si vous avez déjà remarqué, mais souvent, l’aspect mythique qui environne ces endroits où l’on conserve et consulte des livres, conduit les gens à parler de LA bibliothèque, comme entité unique, faisant abstraction de la multiplicité des lieux et des natures des bibliothèques. Quand j’étais étudiante, j’allais travailler « à la bibliothèque » et quand j’étais enfant, j’allais à « la bibliothèque » emprunter des romans.
Et de même, Alberto Manguel dans son dernier bouquin (La bibliothèque, la nuit) ne parle pas de "sa" bibliothèque personnelle, mais de "la" bibliothèque : qu’il s’agisse de celle qu’il a constitué dans sa grange, de celle qu’il fréquentait dans sa jeunesse, ou des innombrables bibliothèques mythiques ou réelles qu’ils nous fait visiter en écriture.
D’habitude, j’apprécie vraiment Manguel ; je l’ai même cité une fois ou l’autre sur ce blog. Mais là, je dois dire que j’ai trouvé ce bouquin à l’image de son titre : bizarre, grandiloquent, et même parfois incohérent. La vision qu’il donne de la bibliothèque m’est totalement innacceptable, engoncée dans des a-prioris et une sacralisation mièvre et naïve de la bibliothèque et de l’objet livre. Son rejet clair et net de tout ce qui est numérique n’est même pas argumenté (j’étais curieuse de savoir comment il le justifierait, mais il ne le justifie pas : c’est du niveau du sentiment). Alexandrie, Babel, Dewey, Robinson Crusoe, toutes les tartes à la crème bibliothéconomiques y sont.
Bref, ce bouquin présente quelques historiettes intéressantes du point de vue de l’histoire des bibliothèques, mais elles sont tellement noyées dans la mélasse d’un discours barbant et pompeux sur « la » bibliothèque qu’il m’est tombé des mains avant la fin.
A l’ENSSIB, on cesse de dire « la bibliothèque » : on apprend à les appréhender dans leur multiplicité, leur diversité, leur vraie richesse au-delà du mythe. A la fin on devient « conservateur des bibliothèques », au pluriel : symbole peut-être d’une entrée dans la vie professionnelle où les bibliothèques, devenues réelles, n’ont plus rien à voir avec ce que nous décrit, de l’extérieur, le livre de Manguel.
C’est bien la première fois que je lis ou entends quelque chose d’aussi politiquement incorrect sur Manguel, et… cela fait du bien !
Non pas que je partage votre opinion, j’ai apprécié son dernier ouvrage et relu son Histoire de la lecture mais c’est vrai qu’il y a quelque chose de suranné, de désuet dans ses écrits et c’est ce qui fait aussi son charme. Ce n’est pas un manuel de bibliothéconomie mais l’ouvrage d’un amoureux des bibliothèques qui tend un peu vers le prosélytisme.
Récemment, j’ai assisté à sa dernière conférence à Genève et ce qui m’a frappé, outre le fait qu’il joue sur du velours et délivre sa partition devant un parterre de bibliothécaires béats d’admiration, c’est la cohorte d’admiratrices qui se presse à la fin pour se faire dédicacer son dernier ouvrage…
Oui, enfin, d’un autre côté, je disais aussi « je vais à LA piscine »… alors que je n’ai jamais particulièrement entretenu de relation affective avec cet endroit de torture.
Par contre, là où ta remarque m’interpelle (peut-être suite à déformation professionnelle) c’est qu’on évoque souvent LA bibliothèque numérique européenne, même s’il est (malheureusement?) bien certain qu’il y en aura plusieurs. Et que personne n’y mettra jamais les pieds.
Tu voulais dire bien sûr « ce (ou un, enfin pas LE quoi) » livre de Manguel ?
Tout à fait d’accord avec cette critique de l’opuscule de M. Manguel. Rejet du numérique, rejet -encore plus drôle- du désherbage; il n’a visiblement pas conscience que différentes types de bibliothèques peuvent coexister; non, un seul, « la » bibliothèque, et de préférence la sienne…
Cyril, tu fais donc partie de ces gens qui ont des certitudes sur la bibliothèque numérique européenne ? Moi je travaille dessus tous les jours depuis un an, et pourtant elle arrive encore à me surprendre.
Mais la nuit ?
Oui, je sais que cela peut paraître confus, mais à mon avis tout peut arriver ;-) Sinon en l’occurence, je pense que l’article défini est un anglicisme : confère The Bristish Library (c’est leur nom officiel et ils y tiennent, quitte à se retrouver tout en bas des listes alphabétiques) ou encore The European Library. Dans une langue où on se passe si facilement des articles, cette obsession du « the » doit avoir un sens qui nous échappe.
Effectivement, je me suis emporté, le « bien certain » est un peu pessimiste (ou présomptueux). Mea culpa.
Vu de quelqu’un qui ne travaille pas dessus, je dois avouer que, entre les initiatives des états, des mécènes, des éditeurs, de certaines collectivités territoriales, de la Commission européenne, et les projets en tous genres, j’avais l’impression qu’on s’orientait plutôt vers un réseau que vers une seule bibliothèque.