Vers de nouveaux catalogues

 

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Après un an de travail, le livre Vers de nouveaux catalogues que j’ai dirigé au Cercle de la librairie (collection bibliothèques) est à présent disponible. Je profite de ce billet pour remercier tous les contributeurs, pour la qualité de leurs articles et pour leur réactivité. Grâce à eux, le résultat obtenu est riche, dense et passionnant… Lisez-le !

Pour vous allécher un peu, je vous propose ci-dessous mon introduction à l’ouvrage, qui expose les différents axes qui y sont traités, suivie de sa table des matières.

Introduction : vers de nouveaux catalogues ?

Vers de nouveaux catalogues : voici bien un titre qu’il aurait fallu, à l’heure où nous entreprenons l’écriture de cet ouvrage, doter d’un point d’interrogation. En effet, peut-on parler de « nouveaux » catalogues aujourd’hui, alors que depuis le dernier quart du siècle précédent, les catalogues de bibliothèques n’ont cessé de se réinventer ? Des premières heures de l’informatisation aux OPAC dits de « nouvelle génération », des systèmes intégrés de gestion de bibliothèque (SIGB) aux portails de découverte, le catalogue a endossé au fil du temps plusieurs fonctions. Outil de gestion des collections pour les professionnels, système informatisé permettant d’automatiser les processus métier tels que le catalogage et la circulation des documents, le catalogue est aussi, avant tout, l’interface proposée aux lecteurs pour chercher et trouver les documents et ressources de la bibliothèque.
Évoluant dans différentes directions pour répondre aux besoins et attentes liés à ces rôles multiples, le catalogue ou plutôt, devrait-on dire, les catalogues, présentent aujourd’hui des visages pluriels qu’il serait bien ambitieux de vouloir figer pour dresser le bilan de leur état actuel. Aussi le présent ouvrage ne prétend-il pas proposer une somme de référence sur le sujet, mais plutôt dresser un panorama de ces évolutions dans un contexte en mutation, qui continuera sans doute d’évoluer dans les années à venir.

En effet, l’évolution des catalogues s’inscrit dans un contexte qui est marqué par des tendances longues, liées à des cycles de transformation de leur environnement qui ne sont pas encore achevés.
La première de ces tendances est bien sûr l’irruption du web, qui a transformé les usages aussi bien des lecteurs que des professionnels de l’information et a positionné les catalogues en concurrence avec des outils à la force de frappe technologique incomparable : les moteurs de recherche. Rapidité de réponse, classement des résultats par pertinence, point d’entrée unique pour toutes les recherches, ergonomie simple et intuitive sont devenus des exigences naturelles à la hauteur desquelles le catalogue doit se hisser s’il souhaite continuer à exister en tant que tel. Deux types d’applications, les « OPAC nouvelle génération », apparus vers la fin des années 2000 et les « portails de découverte » au début des années 2010, se sont donné pour objectif de répondre à cette problématique. Un travail approfondi sur l’ergonomie de l’interface de recherche et la qualité du moteur a permis d’améliorer globalement l’expérience de l’utilisateur de ces outils, les rapprochant d’univers devenus familiers à tout internaute.
Les portails de découverte ont également l’ambition de répondre à une autre des tendances de long terme qui affecte les catalogues : la transition d’une partie significative des ressources intéressant les bibliothèques vers le numérique. Entamée dès les années 1990 avec les publications scientifiques, cette évolution n’épargne plus aujourd’hui les bibliothèques publiques, qui construisent pour leurs usagers des offres d’accès à des livres numériques en prêt ou en streaming mais aussi à des plateformes de vidéo à la demande ou de musique numérique. Or ces ressources numériques constituent, dans le domaine du signalement, une véritable révolution. Elles se présentent sous forme de flux continu et non plus avec une périodicité fixe, se décrivent à un niveau de granularité beaucoup plus fin (article, chapitre, plage d’un album de musique…), évoluent même constamment dans leur contenu et dans leur nature si on pense aux sites web. Au début des années 2000, les « portails de recherche fédérée » s’appuyaient sur des technologies d’interopérabilité propres au monde documentaire comme Z39.50, SRU/SRW ou encore OAI-PMH pour interroger simultanément plusieurs bases. Les « portails de découverte » qui leur ont succédé empruntent aux moteurs de recherche des méthodes plus simples et plus fluides. De nouveaux catalogues « dans les nuages » mutualisent les moyens nécessaires pour faire face à ces problématiques et s’appuient sur des bases de connaissances qui proposent des métadonnées préenregistrées pour une partie des ressources numériques.
Face à de tels changements, le monde des bibliothèques s’est également posé la question de l’évolution de son modèle de données, remettant en cause les formats MARC dont les principes remontaient à une informatique bien antérieure au web et cherchant à s’éloigner du carcan de la notice, héritée des catalogues sur fiches. Cette évolution commence en 1998 avec la création au sein de l’IFLA du modèle FRBR, qui propose de s’appuyer sur les besoins des usagers pour déterminer le contenu de la notice bibliographique et définit la notion d’œuvre, entité intellectuelle qui s’affranchit de la matérialité du document. Ce nouveau modèle a également pour effet d’attribuer une importance nouvelle aux données d’autorité, plaçant désormais au cœur de la description bibliographique les entités que sont les auteurs, les œuvres ou les sujets. Il faut cependant attendre 2005 pour voir émerger les prémices d’une évolution des pratiques de catalogage, avec les premiers travaux sur le nouveau code RDA (Ressources : description et accès) destiné à succéder aux règles de catalogage anglo-américaines (AACR2) puis le projet Bibframe de la Bibliothèque du Congrès. L’ensemble de ces évolutions, connu aujourd’hui sous le nom de « transition bibliographique », implique une transformation en profondeur des normes et des pratiques de catalogage, mais aussi des systèmes capables de produire et d’exploiter ces nouvelles données : plus qu’un grand soir du catalogage qui verrait la fin des formats MARC, c’est le début d’une période de mutation qui s’effectuera progressivement sur plusieurs années.

Parmi les bénéfices attendus de la transition bibliographique, celle-ci devrait permettre aux catalogues de s’acclimater plus aisément à la quatrième des tendances longues qui les affecte : l’émergence d’un nouvel environnement technologique de la « data ». Ce nouvel environnement se caractérise par une ouverture juridique (open data) visant à favoriser la réutilisation des données, par une évolution du web intégrant la spécificité des données structurées et liées (linked data ou web de données), par l’émergence de technologies permettant de manipuler en temps réel des masses très importantes de données (big data) et par de nouvelles interfaces alliant élégance graphique et force narrative (data visualisation). Extérieur à l’univers des bibliothèques, ce mouvement présente l’originalité de toucher des problématiques de société qui lui donnent une envergure médiatique très large : transparence de l’information publique, risques liés aux traitements de masse des données personnelles, orchestration de fuites liées à des données sensibles comme les « Panama papers » et data journalisme font la une de l’actualité, amenant la « data » à un niveau de conscience collective face auquel les bibliothèques font figure de nain cherchant à se jucher sur les épaules de géants.
Dans ce contexte, ce ne sont plus tant les catalogues qui comptent que les données qu’ils contiennent : dans un premier temps, les bibliothèques se préoccupent de diffuser leurs données dans ce nouvel environnement, adoptant les standards juridiques (licences ouvertes) et techniques (web de données) qu’il suppose dans l’espoir de permettre à leurs données d’interagir avec celles d’autres communautés et de gagner en visibilité sur web. Ainsi, le catalogue ne cherche plus à imiter l’interface des moteurs de recherche généralistes, mais à pousser ses données vers eux de manière à se rendre visible là où les utilisateurs se trouvent. De manière plus prospective se pose la question de l’utilisation de briques technologiques nouvelles permettant aux bibliothèques de bénéficier des innovations qu’apporte le nouvel environnement de la data : traitements automatisés, machine learning, algorithmes de recommandation, etc. Les catalogues se réinventent en entrepôts ou « hubs » de métadonnées, capables de produire, transformer et traiter en masse des données d’origines variées en vue d’une multiplicité d’usages.

Parler des catalogues aujourd’hui, c’est prendre acte de la diversité des mutations qui les affectent et se propagent par étapes à des rythmes différents. Les portails de découverte n’ont pas fait disparaître le besoin de disposer d’un SIGB pour assurer les fonctions traditionnelles de la bibliothèque ; le web de données n’a pas remplacé les modèles de catalogage partagé basés sur la récupération de notices ; le catalogage en RDA ou en EAD pour les archives et manuscrits devra coexister pendant encore plusieurs années avec les traditionnels formats MARC ; les hubs de métadonnées capables de gérer flux et traitements devront continuer à s’articuler avec des bases de données plus traditionnelles.
Le paysage actuel des catalogues, tel qu’il se dresse à la lecture des contributions au présent ouvrage, voit ces différents systèmes et pratiques évoluer de manières diverses, prenant inspiration dans un environnement technologique extrêmement stimulant, qui favorise les coopérations et l’inventivité et ouvre de nouveaux possibles. Loin de céder à une vision pessimiste des catalogues traditionnels, cœur de métier des bibliothèques menacé de disparition, il laisse espérer l’émergence de « nouveaux catalogues », qui n’en porteront peut-être plus le nom, mais continueront à constituer la plateforme technologique sur laquelle se construit la mission première des bibliothèques : l’accès de tous à la connaissance et aux savoirs.

Table des matières

Vers de nouveaux catalogues ? Propos introductif par Emmanuelle Bermès (Bibliothèque nationale de France)

1) Le catalogue au défi du Web

L’open data, un levier pour l’évolution des catalogues, par Romain Wenz (Service interministériel des archives de France)

Vers un catalogue orienté entités : la FRBRisation des catalogues, par Emmanuelle Bermès (Bibliothèque nationale de France)

Visualiser les données du catalogue, par Raphaëlle Lapôtre (Bibliothèque nationale de France)

2) Réinventer le catalogue aujourd’hui

La transition bibliographique, par Françoise Leresche (Bibliothèque nationale de France)

L’autre catalogue ? Décrire des archives et des manuscrits, par Florent Palluault (Médiathèque François-Mitterrand de Poitiers) et Patrick Latour (Bibliothèque Mazarine)

Un projet Open source, collaboratif et orienté utilisateur en BU : BRISE ES, par Caroline Bruley (Service Commun de Documentation de l’université Jean Monnet, Saint-Etienne)

3) Le catalogue dans son écosystème : une affaire de flux

La constitution et la réutilisation des données entre bibliothèques, par Guillaume Adreani (Le Défenseur des droits)

Flux de données entre éditeurs et bibliothèques: le format ONIX, par Jean-Charles Pajou (Bibliothèque nationale de France)

Atomes crochus : les métadonnées des éditeurs et l’ABES, par Yann Nicolas (Agence Bibliographique de l’Enseignement Supérieur)

4) Outils et systèmes

Portails et catalogues en bibliothèque publique, l’enjeu du numérique, par Guillaume Hatt (Bibliothèque municipale de Grenoble)

Le catalogue dans les nuages : vers un SGB mutualisé, par Sandrine Berthier (Université de Bordeaux)

La donnée : nouvelle perspective pour les bibliothèques, par Gautier Poupeau (Institut national de l’audiovisuel)

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