Le bibliothécaire

Grave question pour un bibliothécaire que de savoir comment répondre en société à cette question anodine, "et toi, tu fais quoi dans la vie ?", question qui débouche inévitablement sur la suivante "ah bon, et c’est un métier, ça, de ranger des livres ?"

Moi-même il m’arrive assez souvent dans mon cadre familial de rencontrer des gens qui sont, disons, peu sensibilisés à l’utilité du métier de bibliothécaire et des bibliothèques en général ; pour eux ça doit être un peu comme les piscines, c’est sale et plein de pauvres et ils préfèrent avoir la leur chez eux parce qu’en plus ça fait assez joli.
J’ai toujours rêvé d’avoir une tirade extraordinaire à leur sortir sur mon métier et voilà que je la trouve, où ça, je vous le donne en mille, dans un livre.
La voici :

ELLE : Dites-moi ce que c’est, un bibliothécaire.

LUI : Une sorte de communisme, sans l’idéologie ou Marx ou toutes ces conneries. Notre métier, c’est de distribuer du savoir. Gracieusement. Entrez, s’il vous plaît, entrez, prenez un peu de savoir gratis, non, ce n’est pas plafonné, continuez, vous pouvez vous en gaver, non, ce n’est pas une arnaque, ce n’est pas un échantillon gratuit pour vous appâter et vous facturer plus tard, ou bien pour vous tapisser le cerveau de logos et de slogans. Un bibliothécaire n’a pas un statut social très élevé, et nous ne gagnons pas non plus beaucoup d’argent ; plus qu’un poète, d’accord, mais pas autant qu’un type qui sait bien faire la manche. Alors nos idéaux comptent beaucoup pour nous, et aussi l’amour des livres, l’amour du savoir, l’amour de la vérité et de la liberté d’information, le désir que les gens puissent découvrir les choses par eux-mêmes. Qu’ils puissent lire, oh, des histoires d’amour ou des romans policiers, ce qu’ils veulent. Et que les pauvres puissent avoir accès à Internet.

ELLE : Vous êtes un type bien.

En fait plus que d’apporter des réponses, ce roman fait extrêmement bien ce qu’un roman est censé faire, prendre la réalité et la tordre un tout petit peu, juste assez pour nous remplir d’un espoir rageur et d’une satisfaction vengeresse. Juste assez pour qu’on ait l’impression qu’à un rien près, nous vivons dans un monde ou les bibliothécaires sont essentiels à la vie et à la société, peuvent devenir des héros qui s’enfuient en sautant par la fenêtre et en volant un cheval, peuvent être aimés et craints comme s’ils faisaient un métier comme les autres. Mais pas assez pour empêcher Windows de planter juste au moment où on a besoin de lui.

On est d’accord, ce n’est pas un grand chef d’oeuvre, juste un polar ; mais un polar avec un bibliothécaire comme héros, on ne voit pas ça tous les jours.
Larry Beinhart, Le bibliothécaire. Paris : Gallimard, 2005.

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14 réactions sur “Le bibliothécaire

  1. C’est une très jolie réponse que fait ce bibliothécaire. Et je remarque au passage qu’il s’agit d’un homme alors que la représentation usuelle et populaire veut que le bibliothécaire soit unE bibliothécaire. Est-ce signifiant ? Et en quoi ?
    Je crois qu’on doit avoir l’ouvrage chez nous, je vais également voir ce qu’il en est. Tu nous as donné envie d’en savoir plus :)

  2. Oui, mais pour être tout à fait juste, c’est un boulot d’archiviste que fait le bibliothécaire dans le roman.

  3. le bibliothécaire fait du « communisme sans Marx » ça c’est bien vu…j’ai encore jamais rencontré un bibliothécaire de droite moi…:-)

  4. Ben, c’est pas pire que d’être ingénieur en finance !
    Quand je décris mon metier, déjà les 3/4 des gens ne comprennent rien à ce que je leur raconte (bon, ok ça peut paraître un peu compliqué, mais quand même) et ceux qui saisissent me disent : ha oui t’es un enculé :-/

    Vous voyez, faut pas désespérer, vous faîtes un beau métier :)

  5. Ben oui c vrai que le métier est très sous-estimé on donne l’imressio,n d’avoir fait des études bidon c très déprimant. Faudra peut-être qu’on commence à faire des sortes de gay -pride pour nous mettre en valeur

  6. Une anedocte récente. Récemment, un ami m’a regardé ahuri et a éclaté de rire quand je lui ai dit que j’avais étudié un an et demi dans une école spéciale pour apprendre « à ranger des livres »…l’image de la vieille fille à lunettes/chignons qui colle des gommettes sur les livres et qui fait chuut a encore la vie dure.

  7. surtout quand les gens disent : ah bon il faut avoir fait des etudes pour ranger des livres sur des rayons? et apres ce sera une licence pour être femme de ménage?
    bref, on se trouve toujours bête, et on ne sait pas quoi répondre mais c’est énervant à force…

  8. Je trouve que ça ne nous venge pas encore assez.
    Je réfléchis aussi depuis des mois à une tirade à leur desservir. Il faudrait quelque chose de plus acerbe, d’encore plus frappant, de plus juste, de plus complet.
    Un jour, je trouverai.

  9. Jolie définition.
    Je précise par rapport à un précédent commentaire que Marx n’a pas le monopole du communisme, puisque l’on parle de communisme libertaire par exemple (c’est une branche de l’anarchisme). On peut effectivement dire que les bibliothécaires travaillent à la révolution des esprits et à la collectivisation du savoir au quotidien. Mais je précise aussi que je connais plein de bibliothécaires de droite…

  10. En tant qu’homme oeuvrant dans cette profession dominée par le sexe fort (les femmes, non les hommes…) et de chercheur très intéressé par la nature et le rôle du bibliothécaire dans notre société, j’ai lu avec un grand plaisir cet extrait du roman. Mille fois merçi pour ce billet de blogue!!!

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