La restauration numérique en question

Je me fais ici l’écho d’un débat vite passé sur la liste biblio-pat (pour les bibliothécaires patrimoniaux, dont je considère que je fais partie même si mon patrimoine est souvent numérique…)

La BIUM présente ici une expérience de restauration numérique : il s’agit de numériser des ouvrages des documents particulièrement précieux, fragiles, endommagés ou difficiles à photographier. Confiés à un photographe, les clichés ont été largement retouchés, recollés, réassemblés et retravaillés pour obtenir des clichés plus vrais que nature, « en visant un retour vers l’apparence qu’il pouvait avoir quand le temps ne l’avait pas encore dégradé ».

Réaction immédiate d’un collègue dont je ne citerai pas ici les nom et qualité, mais dont j’ai trouvé les arguments assez justes : il oppose le principe de la restauration, tel qu’on le conçoit aujourd’hui. Elle doit prendre en compte l’inscription du document dans le temps plutôt que chercher à la gommer, elle doit respecter l’historicité des objets. La reproduction se doit d’être fidèle à l’original tel qu’il est, et pas tel qu’il aurait dû ou pu être.

Pour ma part, j’observe simplement que les clichés mis en ligne par la BIUM sont magnifiques, et donc le travail du photographe concluant. A la limite, il faudrait pouvoir les comparer avec les prises de vue « brutes » de numérisation pour juger de l’ampleur des modifications.

En principe, je suis plutôt favorable à une numérisation respectant la réalité de l’original, et donc ses défauts, ses manques, bref son intégrité. Ca doit être mon côté chartiste. Toutefois ce n’est pas la première fois que je vois ou entends parler de ce type de restauration numérique. Combien de lecteurs se plaindront effectivement de cette distance entre l’original et la copie ? Bien peu, finalement, et en tout cas moins que de lecteurs qui se plaindront d’une numérisation tâchée, abimée et illisible.

Si vous avez un avis sur la question…

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8 réactions sur “La restauration numérique en question

  1. Bonjour

    Ce genre de débat sur la restauration n’est pas nouveau, et les deux positions sont défendables…

    Par contre, je suis surpris que la question se pose sur le numérique. La restauration numérique ne me semble gênante que si les originaux n’existent plus. Mais je ne pense pas qu’on les détruise après numérisation (quoique, j’ai déjà entendu parler de certaines grandes bibliothèques qui procédaient ainsi ;-).

    Après, il suffit d’indiquer en ligne que l’image a été corrigée (ce qui est le cas pour la BIUM), et le mieux est de permettre de comparer avec le cliché avant restauration… Mais le débat ne s’arrête-t-il pas là ?

    Bises en tout cas, et longue vie au Figoblog !

  2. Bonjour

    Les deux optiques sont à prendre en compte.

    Visiter l’abbaye de Cluny, retranscrite de manière informatique, me semble plus intéressante que de voir le champ de ruines.

    Quand on remontre, aux spectateurs, les couleurs des statues sur les façades des églises, c’est aussi corriger l’erreur traditionnelle de croire que le moyen âge était un âge grossier, sans qualité artistique, ni couleur.

    Et il suffit de regarder comment on représente Notre Dame de Paris, dans les dessins animés ou dans les représentations moyenâgeuses, (c’est-à-dire avec des personnages du moyen âge) pour comprendre combien notre vision des choses est déformée.
    Et fausse !

    Doit-on conserver l’image miteuse des anciennes générations, ou bien celle de leur gloire ?

    Parce que nous ne savons pas les conserver correctement. :-(

    La question ne se pose pas vraiment.
    Les deux sont porteuses de sens, les deux ont de l’intérêt… pour des publics différents.

    Cependant, la conservation, n’est-ce pas l’ambition de conserver l’original dans toute sa fraîcheur et de se prémunir contre un éventuel flétrissement des matériaux ?

    Et comment contrôler que « l’interprétation du restaurateur » n’a pas dépassé l’oeuvre originale, sauf à mettre les deux images en vis-à-vis.

    Et puis, un cliché numérique peut se retoucher, suivant les découvertes archéologiques, et se partager librement.
    Conserver, c’est aussi partager.

    Pour ma part, j’aime bien me souvenir des gens dans leur gloire, plutôt que sur leur lit mortuaire, ou dans les restes de leur caveau. Même si je peux comprendre cet idéal du vrai, qui refuse le mensonge de l’interprétation.
    Tant que cela n’est pas mensonge pour le public, cela me convient également.

    Bien cordialement
    Bernard Majour

  3. J’ai moi aussi un « côté chartiste » (archiviste en plus…) et pourtant ce toilettage numérique ne me pose aucun problème de conscience. Je me dis même que si l’on avait pu faire de même avec les microfilms argentiques que l’on a produits en masse depuis une soixantaine d’années, le public ne s’en serait sûrement pas plaint. D’ailleurs, la BIUM, qui a l’honnêteté de dire clairement ce qui a été fait, remarque à juste titre que ceux des chercheurs qui voudraient étudier ces livres en tant qu’objets et non pour leur seul contenu ne pourraient se contenter des images et devraient venir voir les ouvrages « en vrai ». Disons que l’idéal serait de pouvoir, pour chaque page, afficher un cliché de l’état actuel à côté de la version « reconstituée ». Mais je m’interroge sur le rapport coût/bénéfice d’une telle solution.

  4. Eh bien les amis je pense tout simplement qu’il en faut de tout:
    Les originaux avt traitement.
    Les images après traitement.
    Comme ça les historiens et les spécialites de contenu ne rateront rien. Ce n’est pas seulement une question d’esthétique.

  5. Restaurer une image numérique, c’est restaurer une copie. Donc, déjà, ça semble un peu Shadockien comme problème, parce que si la restauration vise à redonner à un objet son aspect original, hé bien, l’aspect original de la copie ce n’est certainement pas un aspect « restauré » mais plutôt un aspect « brut » ?

    Par contre, un des principaux intérêts du numérique, c’est la facilité de reproduction à l’identique, pour un coût très faible. Alors, pourquoi se priver et s’interdire de créer des milliers de versions différentes de chaque objet… puisqu’on pourra toujours revenir à la version initiale de l’objet ?

  6. Merci à Manu d’avoir rendu compte de ce débat ici. – Je suis justement en train de revoir l’intégrale des Shadocks, grâce à ma médiathèque locale, et la dernière remarque m’incite à répondre!

    En l’occurrence, si nous avons décidé à la BIUM de « restaurer » certains clichés (ou disons de les retoucher, c’est probablement plus clair et plus exact), c’est parce que il n’était pas du tout facile de faire des reproductions « brutes » de certains des originaux concernés. Ça donnait des images laides, ou des images peu lisibles, pour des raisons que j’ai essayé d’expliquer brièvement dans Medic@. Mettre en ligne les images brutes ne serait d’ailleurs parfois pas possible (sans compter que la plupart des usagers n’y comprendraient pas grand chose), par exemple parce qu’il a fallu parfois assembler plusieurs clichés pour montrer toute la surface de certaines images vernies et gondolées, qui brillaient quel que soit l’angle d’éclairage. Et je ne dis rien des développements d’interface qui seraient nécessaires pour le faire clairement…

    Je voudrais souligner deux points. D’abord, toute l’édition d’art est faite d’images retouchées, et, que je sache, ça ne fait guère débat (c’est seulement bien fait, ou mal fait, selon la compétence de l’éditeur). Or, il me semble que la bibliothèque numérique est une sorte particulière de travail d’édition et que, si on en avait les moyens et les compétences, on retoucherait, nous aussi, bien davantage. Ensuite, je ne comprends pas l’idée de fac-similé numérique. Il n’y a pas de « reproduction à l’identique » pensable quand on passe du papier au numérique. Cela ne justifie pas, bien sûr, des manipulations qui créeraient des chimères (du moins pas sans de bonnes raisons, et documentées). En revanche, cela me semble inviter à réfléchir aux cas très divers qui se présentent lorsqu’on numérise des documents. La recherche de la « fidélité à l’original » est parfois la bonne réponse: mais, à mon sens, pas toujours. Souvent, ce que souhaite l’usager, c’est un document qu’il puisse lire, commodément et agréablement. Reste à décider du bon moyen pour le lui permettre, et il varie.

    J’ai l’impression, pour ma part, d’avoir tout un métier à apprendre, et ce lot de numérisation m’a donné à réfléchir sur (et en partie contre) certains réflexes professionnels qui me semblent ne pas tenir suffisamment compte du fait qu’un document numérique est de nature très, très différente de sa « source » imprimée.

  7. Est-ce une question de mots, ou plus?

    Si un fac-similé est un objet qui en copie un autre au plus près, alors je ne vois pas comment la représentation numérique d’un document en papier, enrichie de moyens de navigation divers, éventuellement ocr-isée, avec une apparence visuelle généralement modifiée (redressement, correction des courbures, détourage, etc.) peut être qualifiée de fac-similé sans un certain paradoxe. C’est un objet autre, qui n’appartient pas au monde du codex et n’a pas les mêmes propriétés. – Ceci dit, en réservant l’expression à la numérisation qui cherche à représenter le plus précisément possible l’original sous tous les aspects que le numérique peut prendre en charge (et ce n’est alors pas forcément l’image brute), c’est une manière de parler figurée, à mon sens, mais on s’entend, et on est aussi d’accord sur son intérêt.

    Un éditeur est celui qui effectue les opérations nécessaires pour qu’un document soit fabriqué et diffusé. Je ne comprends pas bien pourquoi les opérations qui conduisent à rendre disponibles en ligne nos documents numérisés ne peuvent pas être décrites comme des actes d’éditeur, avec tous les choix que cela implique, choix qui me donnent justement envie de dire que c’est un travail d’éditeur et pas de photocopieur. Mais quoique lecteur assez fidèle et toujours intéressé du Figoblog, j’ai raté des épisodes :-(

  8. Finalement, j’ai l’impression qu’on est tous d’accord sur l’utilité, notamment à l’égard des besoins du public, de disposer de telles images. C’est peut-être le discours autour qui pose problème et le fait de parler de « restauration numérique », puis de travail éditorial, qui nous amène à questionner ces pratiques au regard de ce qu’on connaît du métier, dans sa version plus « traditionnelle ».

    Je ne suis pas d’accord (ça ne sera une surprise pour personne !) pour dire qu’une bibliothèque numérique est un travail d’édition. Je trouve aussi beaucoup plus émouvant de se promener dans les ruines de Cluny que de le visiter en 3D (ça doit être pour ça que je n’arrive pas à accrocher à Second Life ;-) Dans un cas comme dans l’autre, le document est arrivé jusqu’à nous avec une histoire, son histoire, et les dégradations, les (mauvaises) restaurations, voire les réinterprétations en font partie. Peut-être qu’un jour quelqu’un étudiera la valeur historique de nos restaurations numériques ;-)

    Le fac-simile numérique existe, c’est une représentation à un moment donné de l’état du document original. Cette représentation « brute » peut n’avoir aucun intérêt pour le public au moment où elle est créée, mais elle peut devenir elle-même patrimoniale, acquérir du sens, sans qu’on puisse le présager à l’avance. Elle est donc importante elle aussi.

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