J’en ai un peu marre d’entendre parler à tort et à travers de Web 2.0 et, partant, de bibliothèques 2.0. A la question "êtes-vous un bibliothécaire 2.0" je répondrais volontiers non si j’avais le choix. Comme le dit si justement idsuisse, on ne crée pas un réseau communautaire avec seulement des outils et sans y mettre de sens ; une communauté ne se résume pas à la somme de ses individus.
Si on retourne dans les rayons de la bibliothèque "de brique et de mortier", on y trouvera, niché entre deux étagères, le topos suivant : une bibliothèque c’est un lieu, dans un lieu il y a des gens, donc c’est une communauté. Or il n’y a rien de plus faux évidemment, et s’il suffisait d’ouvrir les portes pour que se crée la communauté cela se saurait, et de même, s’il suffisait de créer un blog ou de lancer un wiki pour susciter une communauté virtuelle, on aurait vraiment à s’en faire de n’avoir pas déjà commencé.
En lisant un document signalé par Librarian.net qui présente plusieurs interviews de bibliothécaires sur le sujet des communautés, j’ai essayé de faire converger ces réflexions et je suis arrivée aux conclusions suivantes.
Un lieu
Bon d’accord, la notion de lieu reste un ciment fort pour les communautés. Mais le lieu ne suffit pas, il faut qu’il soit agréable, vivant. Le lieu se définit essentiellement, en fait, par ce qui s’y passe (valorisation et animation).
L’enjeu principal n’est pas de créer le lieu mais d’inciter les gens
- à y entrer
- à y revenir
- à y rester.
Ces problématiques sont bien connues sur le Web. Comment convaincre l’usager de s’attarder plus des 10 ou 30 secondes moyennes sur le site ? Pire encore, comment le convaincre d’y revenir, encore et encore ? La réponse est simple, il faut faire de l’animation – faire que ça bouge, offrir du service. Pas si facile.
Un modèle économique
Parce que tout cela va bien sûr, en premier lieu, coûter de l’argent. Il faut donc une volonté politique forte pour que cela marche, à moins d’arriver à faire rentrer des revenus en organisant des ventes de livres désherbés ;-) Il faut réussir à dégager un budget spécialement dédié à cette activité de création de communauté, alors que celle-ci est loin d’être identifiée dans la bibliothèque, et encore moins sur le site Web de celle-ci.
Après il y a la question du retour sur investissement : comme le disait justement Karl repris par Hubert, les entreprises qui nous vendent le Web 2.0 y gagnent quelque chose en terme de réutilisation des données, de publicité, etc. Qu’ont à y gagner les bibliothèques ? Tout simplement le droit de survivre, disent certains qui estiment les communautés inévitables.
Bref, on est loin du « plug and play » prétendument apporté par les outils dits du « web 2.0 ». Parce qu’il va falloir aussi…
… des personnels motivés
On construira la communauté avec des gens, et ces gens ça ne peut pas être seulement les usagers. Il faut donc réunir une équipe étoffée de bibliothécaires qui ont envie de créer cette communauté, de l’animer, de la faire vivre.
Eviter que cela soit uniquement lié aux personnes, à savoir un ou deux bibliogeeks prêts à modérer les commentaires entre 20h et 22h (je dis pas que c’est mal, mais c’est pas suffisant ;-)
L’équipe ne peut se construire à côté ou contre le reste de l’établissement : il faut qu’elle emmène tout le monde dans son sillage, éviter l’épreuve de force de la résistance au changement, dont tout le monde ressort perdant.
Un public motivé
Comme pour le lieu, il faut éviter de tomber dans l’idée facile que le public identifié, voire captif, de la bibliothèque est équivalent à sa communauté. Créer la commuanuté va nécessiter de bien connaître ce public, puis de le motiver, de l’inviter à participer à la communauté. Il faudra aussi se débrouiller pour qu’il soit assez nombreux pour atteindre la masse critique.
Pas une communauté, des communautés
Dans la plupart des exemples donnés par les bibliothécaires interviewés, il ne s’agissait pas de créer une communauté autour de la bibliothèque, mais différentes communautés autour de projets s’adressant à un public ciblé : les immigrés, les non-voyants, les adolescents, les étudiants de premier cycle…
Autant de projets que de publics, donc, et chacun doit être vivant, avec des bibliothécaires motivés et un public motivé.
La transparence
Je garde le meilleur pour la fin : il faut jouer le jeu des nouveaux outils et de la communauté, la traiter d’égal à égal, savoir être transparent dans ses actes et ses paroles.
Est-il possible que notre culture francophone, qui hiérarchise et dramatise en général toutes les relations à la fois dans et hors la bibliothèque, sache jouer le jeu de la transparence ? Nous verrons.
Lorsque les bibliothèques françaises commenceront à mettre en place des projets de communautés virtuelles politiquement forts, avec un réel soutien politique et surtout professionnel, un travail sincère d’identification des publics et d’adaptation à leurs besoins, et le tout en toute transparence, je croirai à l’utilisation des outils du web 2.0.
Sur Klog : Etre ou ne pas être 2.0
Le débat a été lancé par Olivier Le Deuff, sur son site Le guide des Egarés par son article au titre un peu provocateur …
Bonjour Manue,
si je puis me permettre, je suis en profond désaccord avec plusieurs passages de ton texte, en particulier ceux qui parlent de communauté. Car tu parles sans cesse de « construire » voire « créer » des communautés, plaçant le bibliothécaire en position de démiurge. Or, précisément, le propre de la notion de communauté, telle qu’on l’emploie le plus souvent en tout cas, est de renvoyer à une formation naturelle, spontanée, non décrétée. Il me semble donc que le prochain défi (pour toute institution et non seulement les bibliothèques) n’est pas de « créer » des communautés en son sein (que le vie soit !) mais plus modestement d’identifier celles qui se construisent partiellement ou complètement en relation avec l’institution et de les aider à tirer le meilleur (et le plus juste) parti des ressources qu’offre l’institution au moyen d’outils appropriés. A la limite, il serait peut-être intéressant pour un bibliothécaire de se considérer comme un membre d’une communauté ancrée sur une institution qui ne lui appartient pas, dont il n’est pas le dépositaire attitré, au sein duquel il peut se demander quel rôle jouer du fait de ses compétences et de son investissement particulier.
De manière plus générale, on est là, il me semble, dans le travers typiquement français. Personnellement, en tant qu’usager précisément, je me suis toujours senti très mal à l’aise dans les bibliothèques, écoles, hôpitaux, etc. parce que je ne m’y suis jamais senti chez « nous », mais bien chez le bibliothécaire, le médecin, le professeur qui s’appropriait avec une certaine violence le lieu même de l’institution. Ce qui est plein d’ironie, c’est que les mêmes qui s’évertuent à maîtriser la situation « chez eux », se plaignent ensuite de la passivité de ces mêmes usagers (je connais bien ça dans le milieu des profs : « les élèves sont des veaux », etc.), ou alors, lorsqu’il y a effondrement de l’Etat, démantèlement du service public, affaiblissement des institutions comme en ce moment, se ramassent en pleine poire tout une violence sociale qui vient comme un retour du refoulé sous la forme de la multiplication des incivilités voire des atteintes aux personnes, situation que connaissent aussi bien le bibliothécaire que l’enseignant ou le médecin de garde aux urgences.
Bizarrement, tout le discours marketing sur le web 2.0 tombe, via le biais libéral, dans le même travers. Il s’agit là encore de « créer » des communautés, ce qui, tu le dis toi-même, est absurde (mais pourquoi est-ce absurde dans un cas et non dans l’autre ?). Le raisonnement économique qui sous-tend cela est extrêmement simple : dans le web 2.0, la valeur (économique), c’est justement la communauté. Donc, si tu veux créer de la valeur, tu dois « créer » la communauté. Mais c’est encore se tromper lourdement. Si on prend l’exemple de la star du web 2.0 : Flickr. Il n’y a pas de « communauté Flickr » contrairement à ce qui est dit. Il y a plutôt plein de communautés qui préexistent à Flickr et qui l’utilisent pour mener à bien leur activités (et ce n’est pas sans conséquence sur leur vie propre, sans doute). (mais Flickr a tout intérét à faire croire à Yahoo! qu’il lui a vendu une communauté).
Parler au geek qui est en nous
J’ai souvent entendu Got râler sur le « Web 2.0 », je comprends assez pourquoi. J’imagine que bibliothèque 2.0 doit être pareil.
En fait, je crois que c’est dû à la geekitude primaire des gens. Une certaine couche de la population n’aime pas particulièrement les ordinateurs et ne rentrent pas dedans, pourtant ils éprouvent une certaine affinité pour ce qu’il connaissent.
Ils peuvent te pourrir si tu parles programmation où algorithmique, mais ils peuvent pareler des heures de Photoshop, faire des blagues avec leurs powerpoint…
Bref, ce que ces gens savent et aiment de l’informatique, c’est de savoir que la prochaine version est bien sûr mieux que la précédente. Ils courent craquer toshop killer 7.0 ou In Design 2.0 à sa sortie.
À ces gens là, la masse dans laquelle se cachent les décideurs pressés, Web 2.0 parle à mort (le mieux étant la fois où j’ai entendu une dingue de la chirurgie esthétique dire qu’elle se mettait à jour comme un logiciel). Et donc du coup… Ben le Web 2.0 risque d’avoir des beaux jours devant lui.
Et si on critique ? Si on explique pourquoi c’est mal ? Hooooo, et bien les gens diront que l’on chipote et que l’on comprends bien ce que l’on veut dire avec Web 2.0. ;-)
Je réagis tardivement à ce débat pour souligner que je suis totalement d’accord avec la définition donnée du terme communauté « identifier celles qui se construisent partiellement ou complètement en relation avec l’institution et de les aider à tirer le meilleur (et le plus juste) parti des ressources qu’offre l’institution au moyen d’outils appropriés »
En ce qui me concerne, le recours systématique au chiffre 2.0 sonne plus comme un leitmotiv pour se mottiver à se tourner vers l’usager (éradiquer le virus de l’autocentrisme), en mettant place des outils qui permettent des effets d’entrainement pour suciter l’utilisation de nos établissements par rapport à nos missions. (et donc justifier les investissements d’argent public qui y sont fait)
En ce qui concerne les communautés: je renvoie à l’article de Daniel Kaplan expliquant ce qu’il entend par l’entrenet: http://www.internetactu.net/?p=6350
« L’EntreNet est peuplé de petites choses plutôt que de grands discours, de quotidien plutôt que de projets, de pratiques qui se constatent plutôt que de se planifier. Seule l’agrégation de ces petits actes collectifs produit, éventuellement, des communautés, des mouvements ou des phénomènes. Certains, tels MoveOn, organisent consciemment cette agrégation dans le but de produire une action collective concentrée ; d’autres aident simplement l’agrégation à se produire sans chercher à lui donner un sens ou un impact particuliers. »
je le rejoins également lorsqu’il distingue la communauté web 2.0 constituée de ceux qui organisent une part significative de leur existence sociale sur le web de celle des « entrenautes » décrite justement par Nico comme ceux qui « éprouvent une certaine affinité avec ce qu’ils connaissent ».
le 2.0 ne sera donc véritablement un phénomène hors geek que lorsque le recours à des pratiques 2.0 sera aussi banal et massif que d’envoyer un email. La question est donc délicate pour une institution (la bibliothèques municipales) qui ne s’adresse en principe qu’a une part restreinte de la population, celle qu’elle dessert et par qui elle est financée. Il y a donc effectivement une certaine contradiction politique à prôner du 2.0 pour des services publics locaux…Si j’ose dire c’est l’éternel problème de l’oeuf ou de la poule : doit-on se situer en amont des pratiques et les suciter quitte à mettre pour un temps l’efficience de l’action publique de coté? à quelle échelle se situer?
Il me semble hautement indispensable de compléter ces réflexions par la lecture de l’article de Christian Fauré : Repenser la question des droits d’auteur, qui explique la différence entre milieu dissocié et milieu associé, entre ce qui serait pour les bibliothèques de la communication insitutionnelle biblio-centrique, et la mise en place d’un système plus participatif et ouvert dans lequel les usagers pourraient trouver leur place – peut-être.