Recherche : bilan personnel 2024

Sur le modèle de ce que j’avais fait en 2023, voici mon bilan de recherche annuel : je précise que l’objectif principal de ce listing laborieux est 1) d’évaluer mon propre avancement sur une part de mon travail qui n’est pas évidente à mesurer et 2) d’avoir des données sous la main pour les évaluations Hcéres et autres. Au passage, cela permet de donner quelques nouvelles fraîches à défaut de blogging régulier ;-)

Mes sujets et projets de recherche

L’un des principaux défis, dans la liberté sans bornes qu’offre un poste d’enseignante-chercheuse, consiste à ne pas se disperser. Il y a tellement de sujets passionnants, de potentialités, d’invitations ! Il est assez facile de se retrouver en surcharge (surtout que généralement les engagements qu’on prend ne se concrétisent que plusieurs mois après). L’an dernier, j’avais donc décidé de concentrer mon effort sur deux pôles principaux : les archives du web d’une part, et l’intelligence artificielle dans les institutions patrimoniales d’autre part. Et cette décision a porté ses fruits !

Du côté des archives web, nous avons démarré deux projets de recherche jumeaux sur les skyblogs : Skybox et SkyTaste. Le premier est financé par la BnF dans le cadre de son plan quadriennal de la recherche, et le second par l’Université PSL via le dispositif Young Researcher Starting Grant (pour celles et ceux qui se demandent, les « jeunes » chercheurs et chercheuses sont des personnes qui ont soutenu leur thèse depuis moins de 7 ans et sont arrivées à PSL depuis moins de 2 ans, donc j’étais parfaitement dans les clous !) Les skyblogs seront donc, pour les 3 prochaines années, mon principal point d’entrée dans les archives web, notamment à travers l’encadrement de travaux étudiants comme celui d’Alice Guérin. Ce qui va me conduire à faire quelques infidélités à ce blog, puisque nous avons prévu de publier, avec les autres membres du projet, une série de billets mensuels sur le blog Webcorpora de la BnF.

Par ailleurs, je n’écarte pas complètement de mon périmètre d’autres objets connexes de l’histoire du web et du patrimoine numérique. En 2024, j’ai commencé mon premier co-encadrement de thèse avec Christophe Gauthier : il s’agit de la thèse de Christophe Carini-Siguret sur l’artification du jeu vidéo. La question du patrimoine vidéoludique gardera donc un poids important dans mes préoccupations ces prochaines années : cela se concrétise dès 2025 avec un colloque qui aura lieu à l’ENS et à l’ENC les 13 et 14 mai.

Du côté de l’intelligence artificielle, j’ai passé la main en tant que présidente d’AI4LAM, ce qui m’a permis de m’impliquer davantage d’une part dans le chapitre francophone, d’autre part dans le groupe de travail « Teaching and Learning ». Mais surtout, je pilote un autre projet financé cette fois par le Ministère de la culture à travers son appel FTNC : TORNE-H, porté par le Musée des Arts Déco et dont la chercheuse principale est Marion Charpier. L’objectif de cette recherche est de démontrer la valeur ajoutée des méthodes de computer vision pour analyser des collections muséales non décrites et d’étudier l’impact de l’intégration de l’IA dans les processus de travail du musée. Cela m’a aussi donné l’occasion de m’impliquer dans le consortium Huma-Num PictorIA, dont l’École des chartes est partenaire.

On est d’accord que tout ceci ne représente que 40 à 50% de mon temps de travail en moyenne, donc vous comprenez pourquoi il faut se mettre des limites…

Conférences, journées d’études, colloques…

L’année 2024 a de nouveau été bien riche en événements, avec pour commencer une série de conférences plus ou moins « grand public » sur l’intelligence artificielle dans les institutions patrimoniales. Cette thématique est liée à mon implication dans AI4LAM et pas vraiment à mon activité de recherche au sens strict mais notons-les ici quand même…

  • Le 1er février, j’ai participé à la journée d’études « Ce que l’Intelligence Artificielle change à l’Université » organisée par la BU de Nantes et la chaire UNESCO RELIA. J’y ai donné une conférence introductive que vous pouvez revoir ici et j’ai contribué à faciliter un atelier conçu par Jean-Philippe Moreux sur la computer vision (support ici).
  • Le 2 mai, j’ai été invitée par les bibliothèques de la ville de Paris à participer au festival Numok pour parler de l’IA en bibliothèque. La captation est disponible ici.
  • Le 1er juillet, j’ai été invitée à participer aux « journée réseau » du SCD de l’université de Toulouse, un événement interne pour lequel j’ai proposé une conférence intitulée « Comment l’intelligence artificielle transforme la recherche documentaire ». Une répétition pour…
  • … le 6 novembre, à Bordeaux, dans le cadre de la journée d’études « L’intelligence artificielle dans les espaces documentaires et bibliothéconomiques » organisée par l’INSPE de Bordeaux. La thématique était la même : « Comment l’intelligence artificielle transforme la recherche documentaire ». Mon support de présentation est accessible sur le site de la journée.
  • enfin le 9 décembre, j’ai donné une conférence à l’ENC dans le cadre du cycle « Chartistes à l’œuvre » sur le thème « Intelligence artificielle et institutions patrimoniales » (captation vidéo).

Cette liste vous fournit plusieurs captations généralistes sur l’IA dans les institutions patrimoniales : j’ai donc décidé de ne plus accepter d’intervenir sur ce thème (parce qu’à partir d’un certain moment, ce n’est plus des conférences, c’est du théâtre…) pour me concentrer sur des approches plus spécifiques liées à TORNE-H en particulier.

Ainsi, d’autres événements ont donné lieu à des communications, soit dans le cadre d’AI4LAM, soit du projet TORNE-H, soit enfin dans le cadre du consortium Huma-Num PictorIA récemment créé (et parfois un peu des trois). Parmi ceux-ci :

  • Le 24 janvier, nous avons présenté avec Marion Charpier une conférence intitulée « Using IIIF as an education tool in AI/ML for DH students » dans le cadre du groupe IIIF AI/ML qui joint les communautés AI4LAM et IIIF.
  • Le 3 juin, le chapitre francophone AI4LAM a organisé une rencontre régionale à Strasbourg en partenariat avec la BNUS, sur le thème  « Intelligence artificielle, patrimoine et humanités numériques ». J’y suis intervenue à deux voix avec Elsa Van Kote pour une présentation intitulée « Du master TNAH au réseau des MSH. Formation et services à la recherche autour de l’intelligence artificielle pour les humanités numériques » (compte-rendu et captation de la journée).
  • Le 26 juin, avec Marion, nous avons animé un atelier PictorIA d’initiation à IIIF.
  • Enfin le 7 novembre, j’étais à DH Nord ; la conférence portait cette année sur « Prospective et nouvelles perspectives en humanités numériques » et j’y ai présenté une intervention intitulée « Intelligence artificielle : enjeux et perspectives pour les institutions patrimoniales » (très original).

En plus de tout ça, il y a un événement un peu à part, car il va donner lieu à une publication : il s’agit des journées doctorales organisées conjointement par le Centre Jean-Mabillon et l’Université de Wuhan à l’École des chartes, les 19 et 20 septembre, sur le thème « Cultural Heritage and Digital Humanities ». En plus, j’y ai contribué à deux communications : la première avec Alexandre Faye sur le thème « Archiving the vernacular web: the example of skyblogs« , et la deuxième avec Marion Charpier intitulée “TORNE-H, an AI-based data processing worfklow for photographic collections”.

Je voudrais enfin faire une place à part aux deux grandes conférences internationales auxquelles j’ai participé cette année :

  • la WAC (Web archiving conference) se tenait cette année à la BnF, du 24 au 26 avril. Un grand merci à mes ancien.ne.s collègues qui m’ont ainsi donné l’occasion de renouer avec la communauté IIPC qui travaille sur les archives du web. J’y ai animé la table-ronde d’ouverture, qui portait sur les skyblogs : « Here Ya Free! Crossed Views on Skyblog, the French Pioneer of Digital Social Networks« . La captation est à revoir à tout prix, c’était génial ! Avec ma collègue Valérie Schafer, nous avons aussi profité de cet événement pour organiser pendant les jours précédents une école de printemps pour les jeunes chercheurs et chercheuses sur les archives web (Early Scholars Spring School on Web Archives), un événement que nous avons prévu de répéter à l’avenir.
  • La conférence annuelle d’AI4LAM, Fantastic Futures 2024, a eu lieu à Canberra en Australie (voir mon compte-rendu). Mon intervention, préparée conjointement avec Marion Charpier et Jean-Philippe Moreux, s’intitulait « Computer vision in the museum: perspectives at the MAD Paris » (captation).

Publications

Du côté des publications, l’événement de l’année c’était bien sûr le livre De l’écran à l’émotion, paru en juin 2024 aux éditions de l’École des chartes. Pas mal de choses se sont passées en périphérie de cette actualité éditoriale. Grâce à la complicité de Mélanie Leroy-Terquem, j’ai organisé le 2 octobre une présentation du livre à la BnF. J’ai aussi été interviewée dans Archimag et j’ai publié un article de vulgarisation dans The Conversation France.

Sinon, les actes du colloque RESAW de 2023 sont parus (Exploring the Archived Web during a Highly Transformative Age, sous la direction de Sophie Gebeil et Jean-Christophe Peyssard). Ils contiennent un article co-écrit avec Sara Aubry, Audrey Baneyx, Laurence Favier, Alexandre Faye, Marie-Madeleine Géroudet et Benjamin Ooghe-Tabanou : « A Network to develop the use of web archives: Three outcomes of the ResPaDon project« .

Un autre article collectif a été accueilli dans la revue Culture et Recherche sur recherche et intelligence artificielle paru cette année (n°147, automne-hiver 2024) au titre du chapitre francophone d’AI4LAM.

Pour finir, j’ai pulvérisé mon magnifique score de nombre de billets sur le blog (on était à 3 l’an dernier, on passe à 4 !!!) mais je ne citerai ici que celui qui contient du contenu original (hors compte-rendu de conférences) : « Le futur de la recherche documentaire : RAG time ! » S’y ajoute le billet sur le blog WebCorpora concernant les projets Skybox et SkyTaste. On va remettre le blogging à la mode ;-)

Activités diverses

S’il fallait vraiment lister TOUT ce que je fais au titre de la recherche… On pourrait ajouter la relecture d’articles en « peer-review » (pour la revue Humanités Numériques notamment), l’évaluation de projets de recherche (pour BELSPO), la participation à des comités scientifiques qui préparent les programmes et évaluent les réponses aux appels à contributions (Document numérique et société, WAC 2025, RESAW 2025), la participation au conseil scientifique d’Huma-Num et au comité d’orientation de l’Equipex Commons. Nous avons aussi passé pas mal de temps, avec Laurence Favier, Madeleine Géroudet et d’autres contributeurs et contributrices, à fignoler les actes du colloque ResPaDon, publiés en ce début d’année dans la revue LCN (mais ça comptera dans les publications de 2025 !)

Il faudrait aussi mentionner les directions de mémoire de master, qui ont inclus cette année en M1 les travaux d’Alice Guérin, de Sarah Ambec et de Juliette Benguigui, et les mémoires de M2 de Natacha Grim, Mohammed Mechentel, Kutay Sefil, Camille Ferrari, Elliot Fabert, Mathilde Prades, et Selma Bensidhoum (ce dernier en co-direction avec Émeline Levasseur). Merci à elles et à eux, et félicitations !

Pour finir sur une note moins boris-viannesque, je voudrais mentionner une dernière activité inclassable : une résidence que j’ai effectuée au sein du laboratoire C2DH de l’Université du Luxembourg, du 29 au 31 mai 2024, dans le cadre du dispositif Erasmus+ (oui ça existe aussi pour les profs !) C’était vraiment une expérience très chouette, j’ai appris beaucoup de choses et suis repartie avec plein d’idées pour mes projets. Un grand merci à Valérie Schafer, Frédéric Clavert et Benoît Majerus pour leur accueil !

Les futurs fantastiques la tête en bas (édition 2024)

Dans la pénombre de la salle de cinéma de la National Film and Sound Archive (NFSA), dans une lumière oscillant entre le bleu Klein et un vert électrique qui fait surgir les reflets de bas-reliefs animaliers, une dame âgée monte sur l’estrade. L’écran derrière elle nous apprend qu’il s’agit d’Aunty Violet Sheridan, ancienne des Ngunnawal, et qu’elle est là pour nous accueillir. Ce message de bienvenue a vocation à protéger notre âme car, nous explique-t-elle, il ne nous viendrait jamais à l’idée d’entrer chez quelqu’un sans y être invité. La puissance de son message me fait encore frissonner. Une main tendue, certes, mais sans oublier la douleur d’une histoire dont nous héritons ensemble, et accompagnée d’un message d’espoir pour le futur, qui a aussi un goût d’avertissement, alors que l’Australie vient de célébrer le (triste) anniversaire du référendum concernant le « Indigenous voice to parliament« . Aucun.e australien.ne ne montera sur cette même estrade pendant ces deux jours sans saluer le peuple ngunnawal et les autres peuples aborigènes, reconnaître leur propriété des terres « où nous vivons et travaillons », et présenter ses respects à leurs aînés.

Welcome by Aunty Violet Sheridan, Senior Ngunnawal Elder

En débutant ainsi ce billet, je veux moi aussi adresser ma reconnaissance à Aunty Violet pour son accueil et aux peuples aborigènes des différentes terres que j’ai foulées. En tant qu’européenne, une des rares à avoir participé à cette édition australe de la conférence annuelle d’AI4LAM, j’ai vécu cet enjeu comme la secousse la plus importante, la plus riche en apprentissage de mon passage « down under« . L’intensité de ce qui se joue ici est difficilement perceptible sans faire le voyage, car comme l’évoquaient les collègues du projet IReal, le respect ne fait pas bon ménage avec l’urgence, et trouver un autre rapport culturel au temps et à l’espace implique de ralentir. Faire plus de vingt heures d’avion pour arriver à l’autre bout de la planète était une façon de me confronter à cette lenteur ; de renoncer à l’immédiateté permise par le numérique et la visioconférence et d’en faire l’expérience corporelle. La question de « comment on hérite » du passé colonial, en tant que personne mais aussi en tant qu’agent des institutions patrimoniales européennes, a été traversante pendant ces quelques jours, et je suis toujours à la recherche de mon douzième chameau*. C’est donc tout naturellement que je traiterai les « questions indigènes » (indigenous matters) en premier dans ma synthèse, avant d’aborder des thématiques plus classiques dans le paysage de l’intelligence artificielle.

« Data is land »

Cet aphorisme est revenu à plusieurs reprise ponctuer des conversations et présentations axées sur les enjeux de l’IA en lien avec les communautés indigènes en Australie et en Aotearoa-Nouvelle-Zélande. « Data is land« , c’est l’idée qu’il faut rendre aux communautés indigènes la gouvernance et la souveraineté sur leurs données, une approche qui pose problème pour des nations qui n’ont pas d’existence en tant qu’États et dont la culture emprunte d’autres voies que celles qui sont protégées par les lois occidentales. J’ai ainsi découvert le terme « ICIP » (Indigenous Cultural & Intellectual Property) : au-delà de notre bon vieux droit d’auteur moral et patrimonial, il s’agit de se pencher sur la question du respect du sacré, de la transmission générationnelle des savoirs et des cultures, de l’appartenance de ce patrimoine à la communauté de manière collective. Derrière ces concepts, l’idée clef est que ces communautés devraient avoir le contrôle sur la façon dont leur culture et les données afférentes sont utilisées, la possibilité de créer et gérer leurs propres archives, et la capacité à construire sur cette base des modèles de connaissance mais aussi des modèles économiques.

Ce dernier point est particulièrement important dans un contexte où, comme nous l’a rappelé Peter-Lucas Jones, la majorité des personnes incarcérées en Nouvelle-Zélande sont d’origine aborigène, et où cette forme de réparation vise des personnes qui ont été privées de leurs terres et de leurs ressources, vivant souvent dans une extrême pauvreté (je tiens de ma collègue canadienne assise à côté de moi que la situation est comparable pour les premières nations des Amériques). Dans ce contexte, l’éducation à l’IA (AI literacy) en direction de ces populations est d’autant plus cruciale, en termes d’égalité des chances notamment pour celles et ceux qui entrent à l’université.

Derrière ces principes, les actions concrètes incluent par exemple le recensement des données en lien avec les communautés indigènes dans les archives de l’ANU (Australia National University) pour permettre à ces communautés d’identifier les matériaux qui les concernent, la mise en place de partenariats avec les « big tech companies » (Microsoft et Amazon AWS) pour pallier l’absence de datacenters sur le territoire de la Nouvelle-Zélande, la mise en place d’actions de communication et de formation, l’adoption des principes CARE en plus des principes FAIR, ou encore la création de modèles d’IA adaptés aux langues à faibles ressources de ces communautés. Face à tous ces enjeux, les institutions patrimoniales sont vues comme des alliées… mais sans oublier que leurs collections se sont longtemps construites par la prédation d’objets venus d’autres cultures et de communautés qui se sont trouvées dépossédées de leur patrimoine (Peter-Lucas Jones a employé le terme très fort de « scavenging » ).

« Langage is culture »

« … and speech-to-text is invasion. » Je cite de nouveau Peter-Lucas Jones qui a un sacré sens de la formule ;-)

L’oralité tient en effet une place considérable dans les cultures locales, comme en témoigne l’existence d’un studio d’histoire orale au sein de la NLA (National Library of Australia) qui détient plus de 60.000 heures d’enregistrements et missionne 80 interviewers pour poursuivre ce travail. Cette collecte est considérée, au même titre que le dépôt légal des livres ou du web, comme une façon de faire entrer la culture australienne dans les collections. Les archives audiovisuelles tiennent aussi une place importante aux archives nationales d’Australie (NAA) et bien sûr, elles sont au cœur de l’activité de la NFSA. Rien d’étonnant, donc, à ce que l’un des usages de l’IA les plus mis en lumière à l’occasion de cette édition des « Futurs Fantastiques » ait été le speech-to-text.

Là aussi, le déplacement vers les contrées du Pacifique permet d’apporter une perspective différente. Kathy Reid nous a ainsi montré les variations importantes dans l’analyse des différents accents anglais par Whisper, le modèle ouvert d’OpenAI qui domine actuellement le marché et a été entraîné sur 680.000 heures de contenus issus d’Internet. Les écossais sont ceux dont l’accent est le moins bien reconnu, tandis que les australiens sont obligés d’imiter l’accent américain quand ils parlent à leur téléphone pour être compris ! La NFSA nous a montré, de son côté, comment elle apprenait à Whisper à parler l’australien, en générant d’abord des histoires truffées d’argot et de noms de lieux spécifiques, avant de les faire lire à haute voix par des locuteurs nationaux, de générer des transcriptions qui sont ensuite corrigées, et enfin utilisées pour entraîner le modèle. On retiendra que c’est une méthode sacrément « bikkie » (« bikkie » est l’argot australien pour « biscuit » mais pour une raison inconnue, l’IA générative semblait penser que ça voulait dire « génial » ;-)

Architecture d’industrialisation du speech-to-text à la NFSA

Dans ce contexte, et plus encore s’agissant des langues indigènes qui n’étaient pas faites à l’origine pour être mises par écrit, l’enjeu des technologies IA qui traitent de la langue est important. Des benchmarks comme le Flores paper permettent d’évaluer le traitement des différentes langues, notamment celles qui sont considérées comme « à faibles ressources ». Mais la façon dont sont traitées les langues indigènes n’est pas toujours considérée par les personnes concernées comme satisfaisante (traductions approximatives, locuteurs non natifs…) et là aussi, l’enjeu est de leur permettre de reprendre la main sur leur langue et la façon dont elle est outillée avec l’IA. C’est une véritable « guerre des tokens » (l’expression est de Kathy Reid) qui s’annonce et dans laquelle la mise en place de politiques et de benchmarks jouera un rôle important.

L’an 2 après Kraken

Il arrive parfois que les conférences génèrent des gimmicks, des expressions heureuses qui percutent et s’installent, reprises d’un.e intervenant.e à l’autre. Celle-ci était particulièrement riche en la matière : quelqu’un a rappelé le tournant qu’a été la présentation au public de ChatGPT fin 2022, quelqu’un d’autre a évoqué cet événement comme étant l’avènement du « kraken » et à partir de là, tout le monde s’est mis à positionner ses projets en fonction d’une frontière temporelle symbolique : before or after Kraken.

Deux ans après Kraken, donc, la conférence est marquée par ces grands modèles qui se sont fait une place prépondérante dans le paysage. J’ai déjà parlé de Whisper, mais outre GPT-2, 3 et 4 (toujours OpenAI), il y a aussi LLAMA (de Facebook) et Mistral côté LLM, et dans le domaine de la vision artificielle, CLIP (toujours d’OpenAI) est revenu à plusieurs reprises ainsi que Florence-2 (de Microsoft).

Le « moment Transformers » vu par Lindsay King et Peter Leonard de Stanford

Dans ce contexte, le cas d’usage que j’appellerais « anything-to-text » se précise. Qu’il s’agisse d’audio, de vidéo, d’images, d’écriture imprimée ou manuscrite, on a pu voir les exemples se multiplier, l’enjeu étant le passage à l’échelle ou l’industrialisation. En vrac :

  • la NFSA a créé Bowerbird, un moteur capable d’extraire le texte de contenu vidéo, associé à une interface de gestion des transcriptions (il a fallu 50 jours de traitement pour produire une première version transcrite de la totalité de la collection : 20 années linéaires de contenu)
  • L’Université de Stanford a expérimenté la mise en place d’archives conversationnelles multimodales, utilisant le RAG et les intelligences artificielles génératives pour interroger des collections de photos et des archives concernant l’histoire de la Sillicon Valley
  • la British Library travaille à l’industrialisation de ses workflows d’HTR, en travaillant notamment sur les écritures non latines,
  • la Queensland Art Gallery a développé une application mobile permettant d’afficher les métadonnées d’un tableau en l’identifiant par similarité, l’entraînement du modèle étant intégré à l’application qui gère la sécurité des œuvres exposées
  • le studio Kopi Su à Sydney propose à des musiciens d’expérimenter avec des systèmes d’IA générative musicale qui passent par le texte et l’image pour générer des sons
  • le Los Alamos National Laboratory a testé l’amélioration des données d’autorité avec des LLM
  • etc.

L’importance d’évaluer

Face à tous ces cas d’usages, un enjeu se fait particulièrement sentir cette année : celui de l’évaluation des résultats fournis par l’IA. Avec pour point de départ le workshop de la Library of Congress sur son AI planning framework (qui nous avait déjà été présenté plus rapidement l’an dernier), une question à se poser en amont est de savoir à quoi ressemblerait le succès quand on entreprend un projet IA. L’enquête présentée par Emily Pugh du Getty, par exemple, avait pour objectif de remonter aux sources des pratiques des historiens de l’art afin de comprendre comment les métadonnées générées par IA pourraient leur rendre service.

En aval, la construction de protocoles permettant de tester différents modèles et d’évaluer la qualité des résultats qu’ils produisent est actuellement une activité prépondérante dans la communauté**. C’était d’ailleurs l’objet de ma propre présentation, dans laquelle j’ai résumé les travaux conduits au Musée des Arts Déco par Marion Charpier, avec la contribution de Natacha Grim (TNAH power !) – je remercie aussi Jean-Philippe Moreux et Bénédicte Gady, respectivement expert et sponsor du projet, et si vous souhaitez en savoir plus, je vous renvoie à la présentation faite par Marion lors du dernier webinaire du chapitre francophone d’AI4LAM.

Je retiendrai en complément trois présentations particulièrement marquantes, qui ont abordé cette question de l’évaluation des résultats de l’IA.

En Norvège, le projet Mimir avait pour objectif de répondre à une question du gouvernement portant sur l’apport des œuvres protégées par le droit d’auteur à la qualité des réponses fournies par les LLM, lorsque ceux-ci sont entraînés à partir de telles œuvres. Pour cela, la National Library of Norway a mis au point un jeu de données permettant de différencier très finement plusieurs types de corpus (œuvres libres de droits, fiction et non-fiction, journaux…) de façon à identifier lesquels présentent l’apport le plus significatif pour entraîner un LLM à effectuer un certain nombre de tâches en matière de langage. L’évaluation a permis de montrer que les œuvres sous droit améliorent de façon certaine les résultats, mais que l’inclusion de corpus de fiction dans l’entraînement peut au contraire avoir un effet de détérioration de la qualité.

Javier de la Rosa présente le projet Mimir

À l’Université d’Indiana aux USA, c’est le speech-to-text qu’il s’agissait d’évaluer, et en particulier les performances de différentes versions de Whisper, dans le contexte particulier des Etats-Unis où une loi oblige désormais les institutions à rendre accessibles les contenus audiovisuels en fournissant des transcriptions. Ici, l’enjeu était de tester l’extraction de texte sur une grande diversité de supports et de types de contenus, de manière à déterminer une approche générique.

Enfin la NLA a également procédé à des tests, cette fois dans le domaine de la vision artificielle, l’objectif étant d’améliorer la découvrabilité des images dans Trove (équivalent australien de notre Gallica). Leur approche consiste à générer des descriptions des images avec un LLM de façon à permettre une recherche par mot-clefs, pas seulement sur des éléments iconographiques (ce que représente l’image) mais aussi des concepts comme des styles architecturaux, des ambiances, des émotions. Les descriptions générées permettent aussi de rapprocher des images qui se ressemblent (recherche par similarité et clustering) non pas en rapprochant directement les images, mais plutôt les textes générés. Pour cela, ces derniers sont transformés en vecteurs et injectés dans le moteur SolR qui sert d’outil d’accès. Trois modèles ont été comparés grâce à un protocole comprenant des questions types et une interface développée ad hoc (un peu façon Compar:IA) : CLIP et GPT-4 vision d’OpenAI, et Phi-3.5 vision de Microsoft.

Francis Crimmins présente les résultats de l’évaluation des modèles de vision artificielle à la NLA

Pour finir ces considérations sur l’évaluation, je voudrais mentionner l’enquête sur l’intégration des enrichissements de métadonnées (IA ou crowdsourcing) dans les bases de données de collections, réalisée par les partenaires du projet Collective Wisdom. Loin de dresser un paysage catastrophique, l’enquête révèle que la majorité des répondants sont parvenus, d’une manière ou d’une autre, à réinjecter les métadonnées enrichies dans leurs systèmes, la plupart du temps après une forme de contrôle qualité. Le principal obstacle en la matière réside moins dans les limitations techniques des formats et des systèmes (même si MARC a été mentionné !) que dans l’accord des parties prenantes sur la notion de qualité attendue de ces enrichissements.

Perspectives spatio-temporelles

Pour conclure, l’apport de la conférence de cette année résidait pour une part dans sa localisation originale, qui a apporté des perspectives nouvelles sur des enjeux de décolonisation, cruciaux dès lors qu’on s’intéresse à ces technologies et d’une façon plus générale, aux questions patrimoniales. Par ailleurs, la succession des conférences « futurs fantastiques » fournit une vision diachronique passionnante quant à l’intégration des questions d’IA dans les bibliothèques, les archives et les musées. Elle fait apparaître un effet de balancier, alternant les moments où la communauté expérimente tous azimuts et ceux où elle se met en quête de stabilisation et d’intégration des acquis dans ses processus et ses données. Cette année, le balancier penche de ce 2e côté et fournit de nombreuses inspirations pour qui veut conduire un projet d’IA en institution patrimoniale, en utilisant les modèles désormais disponibles.

Fin de journée dans la cour de la NFSA

Un grand merci aux organisateurs et organisatrices de cette très belle édition ! En attendant de revoir la conférence en vidéo, vous pouvez consulter les résumés des interventions sur la page du programme. Et sinon, rendez-vous l’an prochain à Londres pour de nouvelles aventures ! D’ici là, les webinaires mensuels de la communauté internationale sont ouverts à tous et toutes, ainsi que les réunions du chapitre francophone toutes les 6 semaines (la prochaine devrait avoir lieu le 19/11). Rejoignez-nous !

*Le douzième chameau fait référence à une fable citée par Vinciane Despret et Isabelle Stengers dans leur livre Les faiseuses d’histoires : que font les femmes à la pensée ? (La Découverte, 2011), dont je ne peux que recommander la lecture à toutes les femmes engagées dans des carrières universitaires.

**Cela me donne l’occasion de saluer l’actualité du projet Compar:IA, qui vient de voir le jour en France ! Et qui devrait d’ailleurs être à l’ordre du jour de la prochaine réunion du chapitre francophone d’AI4LAM.

Le futur de la recherche documentaire : RAG time !

Aujourd’hui, je vous parle d’une application de l’intelligence artificielle et plus spécifiquement, des modèles de langues et de l’IA générative, qui est en train de prendre pas mal d’essor en ce moment : le RAG (Retrieval Augmented Generation). Vous n’en avez jamais entendu parler ? Restez branchés, car le RAG pourrait bien rentrer rapidement dans la boîte à outil courante du professionnel de l’information, juste à côté des catalogues, des ressources électroniques et des moteurs de recherche.

Un peu d’historique et de contexte (on ne se refait pas)

Voilà plusieurs années maintenant qu’on me demande régulièrement d’intervenir pour parler de ce que l’IA change ou va changer dans les bibliothèques. Après avoir étudié tous les use-case possibles et imaginables, j’ai développé un savant exercice d’équilibriste à base de « on va pouvoir continuer à faire ce qu’on fait, mais plus efficacement » ou encore « c’est surtout la masse de ce qu’on peut traiter qui change ». Depuis plusieurs années, j’avais vu débarquer les grands modèles de langue (LLM), en particulier BERT et ses petits amis (CamemBERT, FlauBERT etc.) mais globalement, leur utilisation se passait dans la soute, dans des profondeurs techniques difficiles à expliquer à des publics non-avertis. Cela faisait partie de ces outils « invisibles » qui améliorent les données et les services qu’elles rendent, mais sans faire de bruit.

En novembre 2022, quand ChatGPT a débarqué et a démontré sa capacité à masteriser le test de Turing, j’ai été assez rapidement convaincue qu’une fois le phénomène de mode passé, cet outil (et ses petits frères LLM) aurait surtout un impact quand il s’intègrerait discrètement dans nos applications du quotidien : nos gestionnaires de mail (pour répondre plus vite et envoyer encore plus de mails :-/), nos traitements de texte (pour trouver le bon mot à notre place) et… nos moteurs de recherche (dont il reformulerait à la fois les réponses et les questions, en langage naturel).

Le graal du « langage naturel » dans la recherche documentaire est en effet un idéal après lequel on court depuis bien des années. L’enjeu est de se débarrasser des mots-clefs, méthodes de requêtage et autres trucs de professionnels de l’information, pour pouvoir simplement demander les choses à son moteur de recherche préféré comme on le ferait à un humain, en lui posant des questions. La recherche plein texte à la Google ne répond qu’imparfaitement à ce cas d’usage : on peut en effet formuler des questions, il répondra bien quelque chose, mais le lien entre les deux n’est pas garanti.

Comme nous autres bibliothécaires, Google a commencé par tenter de s’appuyer sur les métadonnées pour pouvoir répondre de manière pertinente à au moins certaines questions, avec le « knowledge graph ». Ce qui donne par exemple ceci :

Encore plus récemment, on a vu apparaître autre chose dans la liste de résultats de Google. Dans la copie d’écran ci-dessous, prise à partir de la même question et toujours sur la 1e page de résultats, vous avez à droite le knowledge graph et à gauche, une liste de questions avec leurs réponses (que l’on peut dérouler en cliquant sur la flèche) :

Il suffit de regarder attentivement les questions et les réponses pour deviner que Google utilise ici les ingrédients de sa bonne vieille recette qui marche : analyser les questions que posent souvent les internautes, les réponses qui leur plaisent le plus, et chercher les chaînes de caractère textuelles qui correspondent. Rien de neuf : on sait depuis longtemps que pour améliorer son référencement, il faut formuler le titre de ses pages/billets/vidéos sous forme de question en essayant d’imaginer ce que les internautes se demandent (vraiment, j’avais capté ça en 2004, ce qui a fait de ce billet mon best-seller de tous les temps).

Ce qui change vraiment, c’est la place importante que Google réserve désormais à ce bloc question-réponse sur sa page de résultats, quelle que soit la requête (même si ce n’est pas une question). On peut donc s’aventurer à le prédire : dès qu’on aura réussi à empêcher les LLM de trop halluciner, les modalités de la recherche documentaire vont profondément changer, et laisseront beaucoup plus de place aux questions-réponses et aux échanges en langage naturel.

Je ne m’appesantirai pas ici sur les tests en cours dans ce domaine du côté des grands moteurs de recherche du web, qu’il s’agisse de Google ex-Bard désormais Gemini ou du Copilot de Bing basé sur ChatGPT. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est de vous parler de l’un des impacts de cette évolution sur la recherche documentaire en bibliothèque (ou archives), à travers le RAG.

Qu’est-ce que le RAG et à quoi peut-il servir ?

(Ce titre de niveau H2 est cadeau pour le référencement.)

RAG signifie donc Retrieval Augmented Generation ; en français, on parle de « génération augmentée de récupération ».

Un RAG permet à une intelligence artificielle générative conversationnelle (comme ChatGPT) d’interagir avec un corpus délimité. Celui-ci peut correspondre à un ensemble de documents, un fonds d’archives ou même à un seul document. On peut dès lors poser des questions visant à résumer tout ou partie du corpus ou du document, à vérifier la présence de tel ou tel concept et savoir comment il est traité, ou encore à répondre à des questions précises en se basant sur l’information présente dans le corpus. Bonus non négligeable, grâce au RAG, l’outil est en principe capable de citer ses sources c’est à dire de lister précisément les documents du corpus sur lesquels il s’est basé pour répondre, voire de fournir des extraits et des citations.

Imaginez par exemple que vous tombez sur un article de 50 pages potentiellement intéressant, mais vous n’avez pas le temps de le lire. Vous pourriez alors demander à un agent conversationnel, grâce à votre RAG, de vous le résumer paragraphe par paragraphe, d’en extraire les thématiques principales, de vérifier s’il contient l’idée que vous cherchez ou la réponse à votre question, d’aller droit aux résultats de la recherche qui y est présentée… C’est le cas d’usage qu’a imaginé JSTOR pour son outil AI research tool (beta) :

Les RAG semblent être apparus en 2020 dans l’environnement de Meta. Pour ma part, je les ai découverts (notamment à travers l’exemple de JSTOR) à la conférence AI4LAM de Vancouver en novembre dernier ; néanmoins je ne crois pas que le terme de RAG a été utilisé (ou alors il m’a échappé, on en sera quittes pour vérifier dans les captations vidéo qui devraient arriver bientôt). Sur le coup, j’ai trouvé l’idée intéressante mais un peu anecdotique, peut-être parce que la personne qui faisait l’une des démos avait utilisé ses propres archives et posait des questions sur son chien (les exemples, c’est important). Depuis, j’ai vu passer d’autres applications qui ont attiré mon attention et que je détaillerai un peu plus loin (ça c’est pour vous obliger à lire jusqu’au bout mon billet interminable, quel machiavélisme !)

Comment ça marche ?

Je ne vais pas rentrer dans des détails très techniques, ce qui m’intéresse est comme d’habitude de saisir suffisamment les principes généraux pour comprendre les atouts et les limites potentielles de l’outil.

Les grands modèles de langue comme Chat-GPT présentent la particularité de mélanger une fonction linguistique (construire des phrases correctes dans plusieurs langues) et des connaissances, qui s’appuient sur les données d’apprentissage qui leur sont fournies à savoir, globalement, de grands corpus de texte issus du web ou de bibliothèques numériques. Or, le mélange de ces deux fonctions produit le phénomène qu’on a appelé hallucination, c’est-à-dire que lorsque le modèle n’a pas la connaissance nécessaire, il produit quand même du langage et donc raconte n’importe quoi. Essayez par exemple de demander à Chat-GPT de vous générer la bibliographie d’une personne, il vous fournira des références crédibles mais totalement fantaisistes… Par exemple je n’ai rien écrit de tout cela (encore que l’idée d’une co-publication avec Nathalie Clot soit bien trouvée) :

On ne peut pas vraiment lui en vouloir : ChatGPT est un modèle de langue, son rôle est de générer du langage et pas de rechercher des informations.

Le principe du RAG est donc d’augmenter (A) la fonction générative (G) avec une fonction de recherche (R) dans un corpus externe. Pour effectuer cette spécialisation, il existe plusieurs méthodes possibles : entre l’article initial de P. Lewis et al. en 2020 et celui-ci qui, en 2023-24, analyse 100 publications à propos des RAG, le champ de la recherche s’est déjà complexifié de manière importante, notamment suite à l’irruption de ChatGPT en cours de route. Le schéma ci-dessous, emprunté au 2e article, représente la généalogie de l’évolution des RAG pendant cette période :

Technology tree of RAG research. Source : https://arxiv.org/abs/2312.10997

Je recommande également la lecture de cet article pour les personnes qui souhaiteraient des explications techniques claires et illustrées par des schémas sur le fonctionnement de ces différents types de RAG. Je vais essayer de résumer, mais comme le laisse supposer ce joli graphique, le RAG est un domaine de recherche complexe en plein expansion, qu’il serait difficile de saisir en seulement quelques phrases : je vais donc forcément simplifier de façon un peu caricacturale, pardonnez-moi.

Il y a en gros trois méthodes pour améliorer les résultats d’un LLM en maîtrisant davantage la source des connaissances qu’il utilise pour répondre :

  • le prompt-engineering, qui consiste à agir au niveau du prompt, en y injectant le contenu des références à utiliser pour fournir une réponse correcte et à jour,
  • le fine-tuning, qui consiste à réentraîner le modèle sur un corpus choisi pour lui apprendre à répondre de manière plus spécifique en fonction d’un domaine ou d’un corpus,
  • le RAG proprement dit, qui repose sur la séparation de la fonction langagière du LLM et de la base de connaissances qui la sous-tend.

En réalité, selon les types de RAG, on va combiner ces différentes méthodes pour optimiser les résultats obtenus. Par exemple, en injectant des sources de référence dans les prompts, on va permettre au LLM de tracer l’origine des connaissances qu’il utilise pour formuler sa réponse, voire lui donner des éléments pour fournir des réponses plus à jour (la base de connaissance de la version publique de ChatGPT, par exemple, s’arrête en 2021). Par contre, il existe des risques de brouillage entre les connaissances d’origine du modèle et le corpus choisi. Le fine-tuning nécessite de réentraîner le modèle, ce qui peut être assez lourd en terme de calcul et nécessite de disposer de grands corpus de vérité terrain adaptés. En revanche, le fait de séparer le langage des connaissances a l’avantage de permettre de travailler avec des modèles de langue plus légers – c’est ce que nous a expliqué Pierre-Carl Langlais à la dernière réunion du chapitre francophone d’AI4LAM que vous avez manquée malheureusement, mais que vous devriez pouvoir revoir en vidéo bientôt.

Des exemples ?

Si vous voulez en savoir plus sur le principe des RAG, lire des explications un peu plus techniques (mais quand même accessibles) et découvrir un outil que vous pouvez vous-même tester, allez voir du côté de WARC-GPT, un outil open-source développé par le Lab de l’Université de Harvard (présentationgithub). Son objectif est de permettre d’explorer des paquets d’archives web au format WARC. Vous allez me dire que si vous ne travaillez pas sur les archives du web, ce n’est pas très intéressant… et pourtant ! Si vous utilisez des ressources accessibles en ligne comme à peu près n’importe qui, il est globalement très facile de les empaqueter en WARC (par exemple avec Conifer ou Archiveweb.page).

Sinon, vous pouvez aussi tester Nicolay, un outil qui expérimente le RAG sur 15 discours d’Abraham Lincoln, représentant environ 300 pages de texte (présentationdémogithub).

Au niveau français, j’ai aperçu des expérimentations à droite ou à gauche, mais je n’ai rien de concluant à vous montrer pour l’instant. Pourtant, si on en croit les très nombreuses références commerciales que l’on peut trouver sur Internet, comme par exemple celle-ci (qui est par ailleurs plutôt bien faite pour qui recherche des explications en français), le RAG est aujourd’hui une technologie bien maîtrisée par l’industrie. Donc si vous avez des exemples sous la main, n’hésitez pas à me les signaler, je les ajouterai à ce billet.

Pour revenir au domaine de la recherche documentaire et des bibliothèques, il me semble que le RAG offre des opportunités d’exploration de grands corpus que je serais surprise de ne pas voir fleurir dans les mois ou années qui viennent. Par ailleurs, si ce genre de méthode doit révolutionner à terme la recherche documentaire et voir nos recherches par mots-clef disparaître au profit de prompts, comme la recherche par équation a disparu au profit de de la recherche plein texte… On a intérêt à comprendre comment elles fonctionnent et à apprendre à les maîtriser. Car le prompting, c’est comme la recherche documentaire : ça pourrait paraître simple à première vue, mais c’est une compétence de la litératie numérique qui ne s’invente pas.

Je vous propose de conclure ce billet en écoutant The entertainer’s Rag (Tony Parenti’s Ragpickers Trio, 1958) sur Gallica. RAG time !

Ce billet a été rédigé à 100% à base d’intelligence humaine.

Recherche : bilan personnel 2023

Quitter la conservation pour aller sur un poste d’enseignant-chercheur, cela implique de consacrer une partie de son temps à la recherche et ses activités connexes : conférences et publications. 2023 a été ma première année complète en la matière ; dans un esprit « science ouverte », voici donc le bilan de mes activités de recherche l’année passée (ça me sera surtout utile quand on me demandera d’en rendre compte :-)

Mes sujets et projets de recherche

Dans la continuité de ma thèse, mon champ de recherche porte sur la patrimonialisation du numérique et plus spécifiquement, le processus qui conduit à l’émergence de nouveaux objets patrimoniaux reflétant la culture numérique, ainsi que l’évolution des institutions patrimoniales en matière de gestion de leurs collections numérisées ou nées-numériques. C’est un sujet qui ouvre pas mal de pistes, et j’ai donc décidé de concentrer mon effort sur deux pôles principaux : les archives du web d’une part, et l’intelligence artificielle dans les institutions patrimoniales d’autre part.

L’année 2023 a ainsi été marquée par la fin du projet ResPaDon, dans lequel je suis restée engagée après mon départ de la BnF, et qui nous a occupés avec l’organisation d’une journée d’étude professionnelle conclusive et du colloque international de fin de projet. J’ai par ailleurs poursuivi mon implication dans AI4LAM où j’ai assuré une deuxième année de co-présidence du secrétariat avec Neil Fitzgerald. Cette deuxième activité m’a valu pas mal d’invitations à divers événements.

Sinon, j’ai passé une bonne partie de l’année à travailler sur le manuscrit d’un livre qui devrait paraître en 2024 aux éditions de l’École des chartes, et qui reprend en partie le mémoire de mon doctorat sur travaux (enrichi, élargi et pas mal réécrit). Ce qui ne m’a pas empêchée d’écrire quand même quelques articles !

Bilan complet ci-dessous.

Conférences, journées d’études, colloques…

L’année 2023 a été riche en événements, au-delà des temps forts qu’ont été les rencontres que j’ai contribué à organiser, à savoir le colloque ResPaDon « Le web : source et archive » en avril à Lille et la conférence annuelle de la communauté AI4LAM à Vancouver. J’ai aussi été impliquée dans les comités scientifiques de la journée d’études des doctorants du Centre Jean-Mabillon et de celle de l’ADEMEC sur l’open data. J’ai eu pas mal d’occasions d’animer ou participer à des tables rondes en lien direct avec mes activités (dans ResPaDon, dans AI4LAM ou encore dans le master TNAH). Mais c’est aussi une année où je me suis autorisée à passer une tête pour le plaisir, virtuellement ou pas, dans des conférences où je n’avais pas de présentation à faire ni de table ronde à animer… Par exemple le super webinaire du C2DH sur les usages pédagogiques de Chat-GPT (enregistrement disponible), la journée d’études NumFem2023 du CIS (Le numérique comme méthodes et terrains. Perspectives féministes), un atelier sur le Linked Art adossé à EuropeanaTech et un autre organisé par le SCAI sur l’utilisation de l’IA dans les sciences du patrimoine. Et tout ça était vraiment passionnant !

Je liste ci-dessous les événements dans lesquels je suis intervenue, en commençant par celles qui ont donné ou donneront lieu à des publications :

Voici maintenant les conférences où j’ai fait des présentations sans publication (parfois avec captation vidéo néanmoins) :

Et pour finir, les contributions à des tables rondes ou des présentations plus informelles :

Publications

Sinon, un enseignant-chercheur, ça publie ;-) Et ça tombe bien, c’est une activité que j’apprécie particulièrement. Alors si je prévois surtout d’en récolter les fruits en 2024 avec mon livre, voici quand même un bilan plutôt positif pour cette année :

  • J’ai publié dans la revue Balisages de l’ENSSIB (n°6) un article scientifique intitulé « Trente ans de numérique à la BnF. Devenir d’une utopie. » Lui aussi est essentiellement tiré de mon mémoire de doctorat, mais la partie méthodologique est toute neuve.
  • J’ai eu le privilège d’être invitée à préfacer l’ouvrage de Véronique Mesguich, Les bibliothèques face au monde des données (Presses de l’ENSSIB, 2023). Une très bonne entrée en matière pour tous les professionnels qui s’interrogent sur ces questions, et y trouveront une vision panoramique de la situation actuelle.
  • J’ai également contribué au très riche numéro de Culture et Recherche sur la science ouverte paru cette année (n°144, printemps-été 2023) en rédigeant un très court article sur les données FAIR, illustré d’un sketchnote maison que j’ai le plaisir de vous offrir ici en CC-BY-NC comme tous les contenus de ce blog ;-)

Blog qui n’était pas en reste puisque cette année j’ai publié 3 billets (waouh -_-) :

Si j’arrive à tenir mes bonnes résolutions, l’année prochaine je ne compterai pas tous les billets dans les publications parce qu’il y en aura trop ! On prend les paris ?

Toujours plus de futurs fantastiques ! (édition 2023)

Vue de la salle principale du bâtiment "The Permanent", avec un plafond en verre coloré

Nous voici à Vancouver, dans une ancienne banque construite en 1907, un bâtiment appelé « The Permanent » qui est désormais le siège canadien d’Internet Archive. C’est là que se sont réunis, en ce mois de novembre 2023, les membres de la communauté AI4LAM, consacrée à l’intelligence artificielle dans les institutions culturelles. Souvenez-vous, j’avais assisté à la conférence Fantastic Futures, 2e édition, à Stanford en 2019, et organisé celle de 2021 à Paris.

Cette année, le programme inclut une journée de workshops et deux jours de conférence plénières (dont les enregistrements vidéo devraient être bientôt diffusés), auxquels s’ajoute une réunion du AI4LAM council, l’un des organes de pilotage de la communauté. Je vous livre ici mon compte-rendu partial, partiel et personnel de ces trois jours de travail fécond : pour la première fois, j’avais la sensation de participer en observatrice, étant sortie de la communauté des professionnels, mais préoccupée par une question en particulier : quelle formation faut-il proposer aux personnes qui vont mener des projets IA dans les bibliothèques, archives et musées dans les années à venir ?

Un enjeu : embarquer !

Si les conférences de 2018 et 2019 étaient celles de la découverte, principalement tournées vers la sensibilisation aux enjeux d’une technologie émergente encore peu utilisée dans le monde culturel, celle de 2021 avait montré la maturité de plusieurs projets massifs dans des institutions pilotes. En 2023, le monde a changé : l’irruption de Chat-GPT est vue comme un déclic qui a fait évoluer la perception de l’IA dans la société et de fait, dans les institutions patrimoniales. Il ne fait désormais plus de doute que l’IA est dans le paysage et va changer la donne pour beaucoup de métiers et d’activités : au-delà des « early adopters« , chacun réfléchit à son « use case« , son projet ; la conférence fait la part belle à l’expérimentation, celle-ci requérant de moins en moins de moyens et de compétences techniques, tant le cloud offre de services clef-en-main.

Pour moi, la question majeure qui se pose cette année c’est comment faire « embarquer » dans le vaisseau AI4LAM de nouveaux collègues, qui ont certes de nouveaux projets, mais souhaitent surtout apprendre, comprendre, s’approprier ces nouveaux outils qui ont à présent fait leurs preuves et découvrir comment les intégrer dans leur quotidien.

Dans ce contexte, beaucoup des personnes présentes à Vancouver font figure de spécialistes, de « passeurs », d’accompagnantes : sans être toujours des expertes en ingénierie, elles peuvent jouer le rôle d’aider à embarquer leurs collègues, que ce soit à l’échelle d’une institution, de la communauté dans son ensemble ou d’un groupe spécifique (comme le chapitre francophone d’AI4LAM récemment créé). La question, c’est comment faire !?

Phase 1 : comprendre

Je m’inspire ici du AI planning framework de la Library of Congress, publié juste la veille de la conférence, pour nommer cette première étape. L’outil est encore jeune et demande à être testé, même si le LC Labs a passé cette année à l’éprouver en interne : nos collègues Laurie Allen et Abbey Potter nous invitent maintenant à nous en saisir pour nous aider notamment dans les phases amont de la planification d’un projet IA.

Quel projet IA êtes-vous ?

L’idée est la suivante : quelqu’un débarque dans votre bureau et vous annonce qu’il ou elle souhaite faire un projet IA sur {insérez ici le sujet de votre choix}. On va alors planifier le projet en 3 phases :

  • une phase d’analyse (understand) visant notamment à évaluer son intérêt, sa faisabilité et à gérer les attentes notamment en matière de qualité du service rendu,
  • une phase d’expérimentations itératives, visant d’abord à voir si la technologie envisagée fonctionne, puis quels résultats on peut espérer en attendre, et enfin comment ceux-ci peuvent s’intégrer dans le fonctionnement du service,
  • et enfin, une phase d’implémentation qui implique la mise en place de politiques et standards qui vont garantir un usage responsable de l’IA.

L’outil créé par le LC Labs prend la forme d’une série de questionnaires (« worksheets« ) qui accompagnent chaque étape et jouent autant un rôle de sensibilisation technique et stratégique que de planification. On y trouvera ainsi une analyse des risques, un diagnostic sur l’état et la disponibilité des données, un plan de traitement données et un modèle de contractualisation (les outils de la phase « implement » sont encore en construction).

Cette phase d’analyse préalable est aussi celle où il va falloir se familiariser avec des notions clefs (qu’est-ce qu’une vérité terrain ? comment entraîner un modèle ? ça veut dire quoi fine-tuner ? etc…) et où la formation (qu’elle porte ce nom ou pas, on a souvent parlé plutôt de montée en compétences collective) va jouer un rôle. Cette question était au cœur de plusieurs des workshops du mercredi, l’un des fils rouges étant d’intégrer l’IA dans la littératie numérique classique des bibliothécaires, à travers des initiatives comme Library Carpentry ou dans des cadres de référence comme celui de l’ACRL (association des bibliothèques de recherche américaines).

Le voir pour le croire

Comprendre, cela passe aussi par le fait de pouvoir soi-même tester et manipuler les outils d’intelligence artificielle. Si Chat-GPT a été une telle révolution (alors que les « LLM », large language models, de type transformers étaient dans le paysage depuis plusieurs années), c’est parce que tout à coup, on disposait d’une interface permettant à n’importe qui de les utiliser. Appliquant ce concept aux GLAMs et au traitement des images (computer vision), le projet AI explorer du Harvard Art Museum propose de se poser la question suivante : chacun de nous voit des choses différentes quand il regarde une œuvre d’art ; que voient les ordinateurs ? Les œuvres du musée numérisées ont été étiquetées avec une palette d’outils IA disponibles sur le marché : on peut dès lors comparer les approches de ces différents outils et observer leur pertinence ou au contraire, leurs hallucinations.

Dans le même esprit, on a cité MonadGPT, un chatbot réalisé par Pierre-Carl Langlais qui a été entraîné uniquement sur des textes du 17e siècle et répond donc aux questions avec une vision du monde arrêtée à cette époque. On mesure ainsi l’impact du choix des corpus d’entraînement sur le résultat obtenu, ce qui permet aussi de relativiser la pertinence d’outils comme Chat-GPT.

Enfin la Teachable Machine de Google (utilisée par Claudia Engel et James Capobianco dans leur workshop) permet d’entraîner un véritable modèle Tensorflow sur des images, des sons ou des mouvements sans avoir besoin de connaître la moindre ligne de code. Voilà qui permet d’appréhender par la pratique ce que veut dire entraîner et tester un modèle : il n’y a rien de tel pour se confronter aux enjeux de sélection des données que cela peut poser. J’ai aussi entendu dire que la Teachable Machine était utilisée dans certains projets où on a besoin de faire entraîner les modèles par des chercheurs qui n’ont pas de compétences techniques, pour ensuite récupérer et déployer le fichier Tensorflow qu’elle génère. Mais là, on entre dans les phases suivantes : expérimenter et implémenter (merci pour la transition !)

Phase 2 : expérimenter

L’expérimentation, c’était vraiment le maître mot de cette conférence : une multitude d’outils, d’exemples, de cas d’usages nous ont été présentés et j’aurais même du mal à tous les lister ici. La démarche était souvent une quête d’appropriation : cet outil existe, il a l’air de fonctionner, ce n’est pas si compliqué que ça de l’utiliser, et si je l’essayais sur mes collections ? Mais ce qui m’a le plus frappée, c’est l’inventivité dont font preuve les collègues pour tirer parti notamment des IA génératives dans les contextes les plus divers.

Prompt engineering et métadonnées

Bien sûr, en tant que bibliothécaires, la première question (ou presque) qu’on se pose, c’est de savoir si on ne pourrait pas générer des métadonnées et des descriptions structurées à partir des documents eux-mêmes. Au-delà des approches qu’on connaissait déjà (comme l’utilisation d’Annif pour générer des indexations sujet), certains se sont lancés dans des opérations complexes de prompt engineering : chaînage, utilisation d’exemples et de fonctions, intégration de Json et d’instructions de formatage aux prompts pour générer des données structurées… Voir par exemple les expérimentations réalisées par le groupe Metadata d’AI4LAM ou encore les travaux de William Weaver sur la transcription des inscriptions figurant sur les herbiers : dans ce dernier cas, il combine segmentation des zones de texte, production d’un OCR et prompt engineering pour passer de la numérisation en mode image à la génération d’un tableur où ces informations sont rangées de manière organisée… merci le LLM !

Chatbots et archives

Une autre « famille » d’applications nous emmène vers une approche complètement nouvelle des archives : et si on pouvait poser des questions aux documents au lieu de les lire ? Plusieurs projets comme Rednal.org se sont penchés sur l’idée d’un chatbot qui se limiterait à un document, un fonds ou un corpus et auquel on pourrait demander par exemple de résumer les idées importantes ou de chercher si telle ou telle information s’y trouve. JSTOR a même déployé ce service en version Beta, en y ajoutant une aide à la recherche qui permet de rebondir depuis un document vers d’autres ressources disponibles sur la plateforme. Ce ne sont pas des idées 100% nouvelles : un assistant pour nous aider à nous balader dans la bibliothèque numérique, on l’avait déjà rêvé, mais grâce à Chat-GPT, ils l’ont fait et le résultat est assez bluffant.

Transcrire et annoter les ressources audiovisuelles

Le traitement des ressources audiovisuelles, et en particulier le speech-to-text avec le modèle open source Whisper, semble être enfin l’un des domaines essentiels d’utilisation de l’IA dans les GLAMs. Le projet conduit par Peter Sullivan pour Interpares sur les archives audio de l’Unesco a montré qu’une approche multilingue était possible (et que la diplomatique pouvait jouer son rôle dans l’amélioration de la génération de métadonnées ;-). Nous avons eu droit à une petite démo de la plateforme australienne ACMI (en Beta) et de l’impressionnant éditeur de workflow d’AMP (Audiovisual Metadata Platform), un générateur open source de métadonnées pour contenus audiovisuels (pas encore en production).

Que retenir de toutes ces expérimentations ? Principalement que cette étape d’expérimentation, la 2e dans le modèle de planification de la LoC, est en fait une phase itérative au cours de laquelle on passe par plusieurs questions :

  • est-ce que cet outil peut marcher sur mes collections ?
  • une fois qu’il fonctionne, quel niveau de qualité peut-on en attendre ?
  • une fois que j’ai atteint le niveau attendu, comment l’intégrer à mes services opérationnels ?

Et ainsi, nous voici en route vers la 3e phase : implémenter.

Phase 3 : implémenter

La question du passage de l’expérimentation « R&D » à la mise en production ou intégration aux services opérationnels était l’un des points abordés dans la table ronde que l’on m’a chargée d’animer avec plusieurs institutions (Stanford et Harvard Libraries, bibliothèque nationale de Norvège, Library of Congress et National Film and Sound Archives en Australie). Ces institutions, dont plusieurs se sont dotées de « Labs », reconnaissent que le pas est difficile à franchir, notamment pour des raisons organisationnelles. Face à l’IA, avant même d’entrer dans les enjeux techniques, se posent des questions de montée en compétences, d’alignement des valeurs et des attentes, de disponibilité des données, de mutualisation des moyens.

J’ai apprécié le fait qu’on nous ait proposé des retours d’expérience divers dans ce domaine : du bilan dressé par la British Library de l’imposant projet Living with machines (qui vient de se terminer) au rapprochement informel de trois institutions fédérales couvrant la palette des LAM (LoC, NARA et Smithsonian) en passant par le comité IA que la bibliothèque de l’Université du Mississippi a mis en place pour répondre aux sollicitations contradictoires des universitaires et étudiants… Il existe bien des modèles et des approches pour envisager l’IA dans les institutions culturelles, qui ne nécessitent pas toutes le même degré d’investissement dans le développement et les infrastructures.

Mais quand même, la question qui brûle toutes les lèvres, c’est de savoir si ces tous ces services innovants sont déployés à l’échelle, visibles, disponibles pour les usagers !

Le « vault », coffre-fort de The Permanent… Les secrets de la mise en production de l’IA sont-ils cachés ici ???
(Photo Neil Fitzgerald)

Alors oui, j’en ai déjà cité quelques exemples : on a des versions Beta à droite et à gauche que l’on peut voir fonctionner ; on a vu par exemple apparaître un nouveau service « Text-on-maps » sur le site de la David Rumsey Historical Map collection de Stanford qui est assez épatant.

Du côté déploiement à l’échelle, on va trouver les « gros » acteurs qui ont à la fois une force de frappe importante en matière d’investissement et l’agilité qui reste difficile à atteindre dans le service public. Internet Archive a ainsi déployé son portail « Internet Archive Scholar » qui utilise l’intelligence artificielle pour repérer des articles scientifiques dans l’archive web et extraire des métadonnées (savourez le logo vintage…) OCLC a testé un algorithme de dédoublonnage des notices dans Worldcat qui leur a permis de passer d’un taux d’élimination des doublons tournant autour de 85-90% à plus de 97%, sur des millions de notices. Ainsi, certaines applications de l’IA sont mises en service « dans l’ombre », à un endroit où l’internaute ne peut pas les voir mais bénéficie du service rendu : recadrer les pages issues de la numérisation ou améliorer la qualité de l’OCR chez Internet Archive, marquer les « unes » des journaux numérisés à la Bibliothèque nationale de Norvège…

La technologie et l’humain

Au final, quand on examine tous ces projets (y compris ceux de la phase expérimentale), c’est souvent la question de la qualité des données qui freine, voire empêche la mise en production. Quand on exige un taux d’erreur nul ou presque, l’automatisation est-elle la bonne solution ? Beaucoup répondent en proposant de voir l’IA comme un « copilote », qui ne va pas résoudre tous les problèmes mais seulement faciliter ou assister le travail des humains dans une collaboration fructueuse. Les humains sont donc toujours dans la boucle (Human-in-the-loop comme on dit en anglais).

Ce qui nous amène aux questions éthiques, loin d’être absentes de cette édition puisque les deux conférences introductives les ont abordées, sous des angles différents. Thomas Mboa, chercheur en résidence au CEIMIA, a développé le concept de technocolonialité, posant l’idée qu’à l’heure actuelle, l’enjeu de la colonisation n’est plus géographique : nous sommes tous colonisés par la technologie, et il nous revient de veiller à préserver notre intégrité culturelle, en luttant contre l’extractivisme numérique (exploitation des fournisseurs de données, par le digital labor et autres) et le data-colonialisme, et en luttant en faveur de l’ouverture, de la justice des données et de la mise en places d’écosystèmes de confiance entre les acteurs.

C’est encore la confiance qui était mise en avant par Michael Ridley de l’Université de Guelph au Canada, deuxième conférencier qui prônait l’explicabilité de l’intelligence artificielle (couverte par le sigle XAI), pas seulement pour les développeurs qui cherchent à ouvrir la boîte noire, mais pour toutes celles et ceux qui interagissent avec ces algorithmes. Ces différentes visions concouraient finalement à envisager l’IA comme un collaborateur de plus dans une équipe et à parler, plutôt que d’intelligence artificielle, « d’intelligence augmentée ».

En guise de conclusion, un plan d’action

Il y aurait sans doute encore beaucoup à dire, mais je vais clore ce billet déjà trop long en revenant sur ma question de départ : aujourd’hui, à quoi faut-il former les professionnels qui auront à mener des projets IA dans des institutions culturelles ? (Par exemple dans le cadre d’un master dont ce serait précisément la fonction…) Au-delà des bases théoriques de l’IA et des principaux cas d’usage, il me semble qu’il y a plusieurs idées qui méritent d’être creusées :

  • analyser, diagnostiquer, faire des études amont pour déterminer la faisabilité d’un projet : prendre en main l’outil de planning de la LoC, le tester, voire le traduire en français pourrait être très utile dans ce contexte ;
  • utiliser des API pour intégrer les différents modèles existants dans une chaîne de traitement de données ;
  • faire du prompt engineering avancé pour apprendre à exploiter de manière productive les LLM, en combinaison avec d’autres outils de traitement comme l’OCR/HTR par exemple ;
  • travailler sur la qualité des données en amont comme en aval du processus IA, maîtriser les métriques habituels (précision, rappel etc.) mais aussi savoir élaborer des démarches d’évaluation de la qualité spécifiques à des contextes ou des usages particuliers ;
  • enfin, promouvoir des modèles ouverts, explicables, soucieux du respect de l’humain et de l’environnement, bref des IA conçues et utilisées de manière responsable.

Du côté d’AI4LAM, la discussion du conseil a aussi débouché sur l’idée qu’il allait falloir mettre en place des dispositifs d’embarquement pour les nouveaux collègues. Un réservoir de diapos de référence, des présentations régulières d’introduction aux bases de l’IA pour les GLAM (en plusieurs langues et dans plusieurs fuseaux horaires), une « clinique de l’IA » où chacun pourrait venir avec ses questions, des sessions Zoom de rencontre autour de thématiques spécifiques… sont autant d’idées que nous avons brassées pour y parvenir. Il y aura des appels à la communauté pour participer à ces initiatives alors si vous voulez nous rejoindre, n’hésitez pas !

Pour s’abonner aux différents canaux d’échange d’AI4LAM, c’est par ici. Pour devenir membre du chapitre francophone, il vous suffit de rejoindre le forum de discussion du groupe.

Papoter avec Molière ?

Utiliser la création artistique pour relever un défi scientifique et technique tout en nous plaçant face à des interrogations très humaines, tel était l’objectif du projet Litté_bot, financé par l’EUR ArTec. Le questionnement de départ peut paraître simple : si on entraînait une IA à partir des textes de Molière, pourrait-on engager virtuellement une conversation avec le dramaturge ou un de ses personnages ? Dans les faits, la création d’un agent conversationnel – ou chatbot – capable de soutenir un tel échange pose beaucoup de questions, parmi lesquelles la volumétrie (insuffisante !) du corpus de départ, l’imitation de la langue du XVIIe siècle, l’équilibre à trouver entre système ouvert ou fermé, ou encore le choix du bon modèle d’entraînement.

Finalement, c’est le personnage de Dom Juan qui a été mis en scène : vous pouvez vous entretenir avec lui dans le BOT°PHONE, un dispositif placé à la sortie de l’exposition Molière sur le site Richelieu de la BnF jusqu’au 15 janvier.

Mais si vous préférez le tester depuis votre salon, vous pouvez également accéder au dispositif expérimental en ligne.

Au final, ce qui est sans doute le plus fascinant, c’est d’écouter Rocio Berenguer, l’artiste qui est à l’origine du dispositif, expliquer comment elle a imaginé l’expérience et en donner son interprétation : « dans n’importe quelle situation, n’importe quel échange, en tant qu’humains, on va générer du sens. (…) C’est une capacité magnifique, une puissance à laquelle on ne donne pas assez d’importance. En fait, j’aimerais que l’échange avec une machine nous permette de nous rendre compte de la puissance de nos capacités cognitives à nous. »

Je me suis intéressée au projet dans le cadre de la feuille de route IA de la BnF, qui pose la question du rapport entre l’humain et la machine comme une problématique centrale. Pour en savoir plus, notamment sur les enjeux techniques du projet, vous pouvez consulter l’article sur le carnet Hypothèse de la BnF, l’interview de Rocio Berenguer dans L’ADN, ou encore regarder la présentation d’Anna Pappa pour AI4LAM. Merci à Arnaud L. pour les références :-)

Le grenier

Oh trop fou ! Ce ne serait pas la clef de mon blog, coincée là entre une soutenance de thèse, une pandémie et un gros tas de bazar ? Elle est un peu rouillée, je me demande si elle marche toujours…

(Essuie la clef avec son écharpe et la glisse dans la serrure.)

Bah ! Pouah ! Kof kof kof ! Y en a de la poussière là-dedans !

(Écarte quelques toiles d’araignées et attrape le premier papier qui traîne.)

Oh ! Trop drôle, mon dernier billet ! Je parlais de la conférence Fantastic futures à Stanford… je faisais un teasing de dingue, j’y croyais vraiment, que j’allais organiser une conférence internationale en décembre 2020, ah ah ! Bon au final elle a bien eu lieu… avec un an de retard. Et puis c’était pas vraiment comme les conférences du monde d’avant, il faut bien le reconnaître… mais c’était chouette. Il nous reste les vidéos et les supports. Et le super article de Céline dans le BBF. Bon c’est sûr, plein de gens n’ont pas pu venir à cause de la crise, tout ça, mais on va jouer les prolongations pendant les community calls d’ai4lam les 15 février et 15 mars…

Tiens c’est quoi ce truc ?

(Ouvre un grand coffre rempli de paperasse.)

Oh !!! Ma thèse ! Enfin je veux dire, mon doctorat sur travaux. « Le numérique en bibliothèque : naissance d’un patrimoine : l’exemple de la Bibliothèque nationale de France (1997-2019). » Rien que ça. Genre, il y a deux fois deux points dans titre, je ne doute de rien, moi… Heureusement qu’ils n’interdisent pas les titres à rallonge pour mettre en ligne dans Hal, sinon j’aurais l’air maligne ! N’empêche, c’était sympa cette histoire d’émotions patrimoniales. J’en avais même fait un article dans la Revue de la BnF. Et puis la soutenance… une vraie soutenance dans la salle Léopold Delisle de l’Ecole des chartes, en présentiel comme on dit maintenant. Et sans masques ! On a revécu toute l’histoire de la BnF sur les 25 dernières années… d’ailleurs ça a atterri dans le livre sur l’Histoire de la Bibliothèque nationale de France qui sort cette année à l’occasion de la réouverture de Richelieu. Que des bons souvenirs, quoi.

(Se remet à fouiller à droite et à gauche.)

Il doit bien y avoir encore quelques trucs intéressants là-dedans… L’ouverture du DataLab en octobre 2021… Le Schéma numérique 2020 de la BnF… La recette du pain d’épices… Mais où est ce fichu… Ah ! Le voilà ! Il n’est pas beau, ce numéro de Chroniques spécial intelligence artificielle ? Si j’avais su il y a deux ans que cette technologie prendrait une telle place dans ma vie… En tout cas, les illustrations sont magiques et il contient un joli portrait professionnel de votre serviteuse. Cela fait quand même plus sérieux que le selfie pris dans mon bureau pour illustrer mon interview sur Europeana Pro ! Ah, le plaisir de fouiller dans les greniers pour retrouver de vieilles photos ! Il n’y a rien de tel.

Tiens, voilà autre chose…

(S’approche d’un mur couvert de post-its à moitié décollés.)

Mes challenges personnels pour 2022, tout un programme. « Arrêter de fumer… Publier ma thèse… Voyager au Danemark ou en Irlande… » T’as raison, l’espoir fait vivre. Et tiens, « Ecrire sur mon blog » ! Eh bien voilà au moins une case que je peux cocher. Restons positifs :-) (mais pas au Covid >_<)

Les fantastiques futurs de l’intelligence artificielle

La semaine dernière, j’ai eu la chance d’être invitée à me rendre à Stanford pour participer à la conférence Fantastic Futures, 2e du nom, un événement dont l’objectif était de faire émerger une communauté autour de l’intelligence artificielle pour les archives, les bibliothèques et les musées.

Spoiler : la communauté s’appelle AI4LAM, elle a un site web, des chaînes Slack et un groupe sur Google. Sinon, pour revoir la conférence, c’est par ici.

Cela ne vous aura pas échappé : l’intelligence artificielle est à la mode. On en parle à la radio, dans les journaux, des députés au style vestimentaire peu commun rédigent des rapports pour le Président de la République… et dans la communauté professionnelle, nous suivons le mouvement : voir par exemple la journée d’études du congrès de l’ADBU 2019 ou encore celle organisée hier à la BnF par l’ADEMEC (vidéos bientôt en ligne). Pourtant, si l’IA était une boîte de gâteaux, on pourrait écrire dessus « L’intelligence artificielle, innovante depuis 1956″…

Pour ma part, le sujet m’est pour ainsi dire tombé dessus, pour la 1e fois, quand on m’a invitée à participer aux Assises numériques du SNE en novembre 2017. Alors que nous préparions notre table-ronde, j’étais un peu dubitative sur ma participation, et j’ai été jusqu’à dire que de mon point de vue, la BnF n’utilisait pas encore en production de technologies d’intelligence artificielle. L’un des autres participants m’a alors dit « mais si ! l’OCR c’est déjà de l’intelligence artificielle ! » Et finalement, même si tout dépend de la définition (plus ou moins précise) que l’on en donne, ce n’est pas faux. Comme le disait Joanna Bryson à Stanford mercredi dernier, l’intelligence c’est la capacité à transformer une perception en action…

Que de chemin parcouru, pour moi, depuis 2017 !

En 2018, les explications de Yann Le Cun ont éclairé ma lanterne sur cette notion d’intelligence, de perception et ce qu’on appelle l’apprentissage (profond ou non, par machine ou pas !) L’exemple du Perceptron, sorte d’ancêtre de l’OCR, m’a permis de comprendre que mon manque supposé de familiarité avec l’intelligence artificielle relevait en fait d’un malentendu. Comme pour beaucoup de gens, l’intelligence artificielle évoquait pour moi une machine s’efforçant d’adopter des comportements plus ou moins proches de l’humain, l’un de ces comportements étant la capacité à « apprendre » comme le suggère le terme de « machine learning ».

Je me suis donc référée à Jean-Gabriel Ganascia pour tenter de désamorcer ces idées reçues et j’ai appris dans son opus daté de 2007 que la discipline informatique connue sous le nom d’ « intelligence artificielle » vise non pas à créer une machine dotée de toutes les facultés intellectuelles de l’humain, mais à reproduire de façon logique et mathématique certaines de ces facultés, de manière ciblée. Il y a autant de différence entre l’intelligence artificielle et l’humain qu’entre passer un OCR sur un texte et le lire…

Pendant que je plongeais dans ces découvertes, l’IA entrait bel et bien à la BnF, par la petite porte, celle de Gallica studio. Un peu plus tard, à la conférence Europeana Tech je (re)découvrais les rouages du prototype GallicaPix et obtenais encore d’autres exemples et explications avant d’en remettre une couche à LIBER 2018 (la répétition est l’essence de la pédagogie, n’est-ce pas…). Enfin, la première conférence Fantastic Futures était organisée en décembre 2018 à Oslo et inscrivait pour de bon l’IA sur notre agenda stratégique, à travers deux projets, l’un portant sur la fouille d’images dans Gallica dans la continuité de GallicaPix et l’autre sur la mise à disposition de collections-données pour les chercheurs dans le cadre du projet Corpus. J’ai même fini par intervenir sur le sujet dans un colloque organisé en octobre par les archives diplomatiques.

Me revoici donc en décembre 2019 à Stanford, prête à plonger dans le grand bain… Qu’ai-je retenu de ces 3 jours de conférence ?

D’une façon générale, cet événement fait apparaître l’idée que le sujet est encore assez jeune dans la communauté des bibliothèques, archives et musées. Alors qu’il existe une conviction solide et partagée que l’IA va transformer en profondeur la société, les méthodes de travail, et avoir un impact significatif sur nos institutions, la mise en pratique reste encore largement expérimentale.

Trois types d’acteurs ont néanmoins proposé une vision concrète, voire des réalisations effectives :

  • les acteurs de l’industrie, qui font état d’un déploiement déjà très avancé dans différents secteurs,
  • les acteurs de la recherche, qui multiplient les projets autour de données diverses, notamment celles des collections spécialisées qui se prêtent tout particulièrement à de telles expérimentations
  • enfin dans le domaine de la création artistique, à travers un artiste qui utilise l’IA dans le cadre d’une démarche d’interrogation sur la société et les rapports humains.

En termes de projets, deux types d’initiatives sont observables dans le domaine de l’IA pour les LAM.

En premier lieu, celles qui visent à mettre des données et collections numériques à disposition des chercheurs à des fins de fouille de texte et de données, en utilisant le machine learning. On peut citer par exemple le Lab de la Bibliothèque du Congrès qui a récemment obtenu un financement de la Mellon pour une expérimentation à grande échelle dans ce domaine. Certains de ces projets conduisent à développer des outils permettant aux chercheurs de s’approprier les modèles d’apprentissage ou des interfaces innovantes comme PixPlot, développé par le laboratoire d’humanités numériques de Yale, qui permet de manipuler des corpus de plusieurs milliers d’images que l’IA regroupe par similarité.

À l’exemple du prototype « Nancy » de la Bibliothèque Nationale de Norvège, d’autres projets visent en revanche l’automatisation de tâches actuellement réalisées manuellement par les bibliothécaires. Toutefois, Nancy reste une initiative expérimentale qui, si elle démontre efficacement les apports potentiels de l’IA pour le traitement des collections, serait très difficile voire impossible à industrialiser telle quelle sur la production courante. De même, les projets de traitement des collections du IA studio de la bibliothèque de Stanford, l’un d’eux portant sur une collection de romans du 19e s. numérisés mais non catalogués, s’attachent au traitement d’un corpus clos et bien défini et sont en réalité hybrides avec la catégorie précédente, car ils mobilisent également des chercheurs au travers de projets ciblés.

Pour finir, je retiendrai un certain nombre de thématiques phares qui sont revenues à plusieurs reprises, aussi bien dans la conférence elle-même que dans les workshops ou la « unconference » :

  • Les questions éthiques, bien connues en dehors de notre communauté mais abordées ici avec l’idée que des institutions publiques comme les bibliothèques pourraient devenir un acteur important pour porter cet enjeu au regard de l’industrie. L’idée de doter les projets d’un “plan de gestion éthique” comme on a des “plans de gestion des données” a émergé pendant le workshop que je co-animais.
  • Les enjeux de qualité des données, avec là aussi l’idée que les bibliothèques ont un savoir-faire qu’elles pourraient mobiliser pour apporter à l’industrie des jeux de données de qualité pour l’entraînement du machine learning.
  • Le développement d’interfaces graphiques, nécessaires pour comprendre les IA, les manipuler et interpréter les résultats (cf. PixPlot ci-dessus)
  • La formation, avec notamment l’exemple finlandais : l’IA est un enjeu global de société et chacun devrait pouvoir se former pour comprendre ce dont il s’agit. A cette fin, un cours en ligne a été mis en place, visant 1% de la population du pays. Une extension internationale du projet est en cours, avec sa traduction dans les différentes langues de l’Union Européenne.
  • Enfin les outils, données et modèles, avec un enjeu d’échanges et de mutualisation au sein de la communauté et un focus sur les documents spécialisés (manuscrits, images et cartes notamment, mais aussi son et vidéo). Le lien de ces problématiques avec IIIF a été constamment mis en avant.

Nous nous sommes quittés après 3 jours riches et intenses sur l’annonce de la création de la communauté AI4LAM que j’ai mentionnée plus haut. Et mon petit doigt me dit que mes futurs n’ont pas fini d’être fantastiques… Prochaine étape le 3 février dans le cadre du séminaire DHAI de l’ENS, où Jean-Philippe et moi présenterons les deux initiatives phares de la BnF dans ce domaine.